• il y a 3 semaines
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Dans la deuxième heure de son émission consacrée à la culture, Thomas Isle reçoit chaque jour un invité.
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News
Transcription
00:00Merci beaucoup d'être avec nous pour la suite de Culture Média.
00:07Nous nous rejoignons dans ce studio, Joe Hume pour Parlez-Musique.
00:10Et bonjour !
00:11Salut Joe et Olivier Pouls pour la gastronomie.
00:13Bonjour les amis !
00:14Et ce qui va avec la gastronomie, parce que je vois que vous êtes…
00:17Du solide et du liquide, allez savoir !
00:20Et le sourire d'Anissa, je crois qu'elle m'a déjà grillé.
00:24Et j'ai l'honneur de recevoir ce matin un écrivain récompensé lundi du prix Goncourt
00:30pour un livre, Oury qui conjugue la poésie, le style d'un grand romancier et le courage
00:36d'un journaliste qui veut faire entendre la voix de ceux qui ne peuvent pas parler.
00:39Bonjour Kamel Daoud !
00:40Bonjour !
00:41Et merci beaucoup d'être là.
00:43D'abord bravo pour ce prix qui, bon, on n'a pas vraiment fait de débat.
00:47Le jury vous a élu dès le premier tour et nous on vous a invité avant même ces résultats
00:51parce qu'on était sûr que vous alliez l'avoir tant ce roman est bouleversant.
00:55Est-ce que vous, franchement, vous vous y attendiez ?
00:57Sincèrement, non.
00:58Je sais que ce genre de déclaration parait un peu candide après le résultat entre guillemets.
01:06Vous savez, j'ai déjà vécu un peu ça avec Meursault contre enquête il y a quelques
01:09années où j'étais donné favori.
01:11Le vote, j'ai perdu le vote à une voix ou deux voix, je ne sais pas, je n'ai pas
01:16d'information précise.
01:17Mais là, non.
01:18On a beau se projeter, entre midi et midi 35, on a quand même mal au ventre.
01:23Et alors en France, vous goûtez les joies des récompenses.
01:26Mais alors en Algérie, votre livre est interdit, même s'il est très, très, très largement
01:30piraté et donc lu.
01:32Interdit parce que votre roman traite de ce qu'on appelle la décennie noire, la guerre
01:36civile d'Algérie dont on n'a pas le droit de parler là-bas.
01:39C'est une loi de 2005 qui punit de trois à cinq ans d'emprisonnement ceux qui osent
01:43le faire.
01:44Est-ce que ça veut dire qu'il y a des poursuites qui sont déjà engagées contre vous aujourd'hui,
01:47Abel Daoud ?
01:48Je ne sais pas.
01:49Je ne suis pas informé sur ça, mais je ne pense pas que ce soit uniquement lié au
01:53roman.
01:54Mais toutes les libertés souffrent en Algérie pour le moment, quelque soit X.
01:58Il n'y a que les islamistes qui peuvent, qui ont le droit à la liberté d'expression
02:01quasiment absolue.
02:02Mais le reste, on ne peut pas parler, on ne peut pas écrire, on a peur, il y a un climat
02:05de terreur.
02:06Ça, c'est la réalité.
02:07Mais je pense que s'il y a mes prises de position éditoriales, s'il y a ce que je
02:14suis, s'il y a peut-être cette figure de singularité qu'on voit en moi, mais s'il
02:21y a beaucoup de choses.
02:22L'écrivain, depuis quelques années, il y a quelques décennies, incarne une sorte
02:27de malaise pour l'Algérie.
02:28En règle générale, il y a eu Boleyn-Saint-Saël, il y a eu d'autres.
02:31On connaît à la fois des incarnations, entre guillemets, c'est très prétentieux de le
02:34dire, mais il faut le répéter, de l'universalité, et en même temps, l'universalité, pour
02:38beaucoup d'Algériens, elle est source de malaise, de douleur.
02:41On veut faire partie du monde, et on a peur de faire partie du monde, et on ne veut pas
02:45que le reste du monde fasse partie de nous, et l'écrivain, il est un peu sur ce chemin
02:50de crête.
02:51Pourquoi cette guerre civile, qui a fait entre 150 et 200 000 morts, même s'il n'y a aucun
02:56chiffre officiel, il n'y a pas de statistiques, il n'y a pas non plus de monuments aux morts,
03:00d'ailleurs, vous le racontez dans votre livre, pourquoi est-ce qu'elle est tenue sous silence ?
03:03Qu'est-ce qu'il faut absolument cacher ?
03:05J'ai l'impression, c'est mon interprétation, et c'est celle d'un écrivain, je ne suis
03:09pas un politologue, mais j'ai l'impression qu'on cache une guerre honteuse, comparée
03:12à la guerre glorieuse, qui est la guerre d'indépendance.
03:15La première, on s'est battus, selon le roman national, contre une occupation, contre l'armée
03:20française.
03:21La seconde, on s'est entretués, donc ce n'est pas quelque chose d'élogieux, c'est quelque
03:25chose de monstrueux, et le sentiment auquel j'étais confronté, c'est celui de la honte
03:32et de la violence, c'est ce qu'on me reproche, à la limite, c'est un vieux reproche contre
03:38moi.
03:39Souvent on me dit, oui, ce que tu écris dans tes éditoriaux, c'est très bien, mais il
03:41ne fallait pas l'écrire.
03:42On est dans une sorte d'omerta communautaire, identitaire, entre guillemets, etc.
03:47Vous écrivez dans le Point ?
03:48Pas uniquement.
03:49J'écrivais dans le New York Times, j'écrivais dans le La Republica, même en Algérie.
03:52Pour mon malheur, c'est que mes écrits interviennent à l'époque où Internet viralise tout,
03:57et le même propos que l'on tient en Algérie n'a pas le même sens s'il est tenu ailleurs,
04:01ça m'a posé un problème éthique.
04:02Vous écrivez un article qui s'appelle « À quoi sert le musulman ? »
04:07A quoi servent les musulmans dans le monde ?
04:12Vous l'écrivez en Algérie, c'est de l'ironie sur soi.
04:14Le même papier repris par un journal d'extrême droite en Allemagne, il prend un autre sens.
04:19C'est un peu ça.
04:20Tout cela pour vous dire que c'est une source de malaise, de fascination et de fierté aussi
04:27pour beaucoup d'Algériens.
04:28Et vous dites d'ailleurs, Kamel Daoud, que si le pouvoir algérien parle tant de la guerre
04:32de décolonisation avec la France, c'est parce qu'ils veulent effacer la réalité de cette
04:36guerre civile qui a opposé pendant dix ans le front islamique du salut à l'armée algérienne.
04:42En fait, ils veulent faire diversion.
04:43C'est ça votre propos ?
04:45Oui, mais moi, je n'aime pas ce casting de régime contre une population innocente, etc.
04:50Au fait, cette logique de dissimulation, elle est portée autant par les intellectuels décoloniaux
04:56de l'hypercentre d'Alger.
04:58Parce que parler de cette guerre, c'est devenu, je le dis, je l'assume, une ronte.
05:03Une ronte académique, une ronte journalistique.
05:05Ça ne veut pas dire qu'il ne faut pas en parler.
05:07Je parle de la position autour de ce récit-là.
05:10Parce que moi, je n'oppose pas les deux guerres.
05:11Je crois qu'il y a un devoir de mémoire pour les deux.
05:13Et les 200 à 250 000 morts qui sont morts durant la guerre civile méritent autant la
05:18commémoration, le respect, l'enterrement, le deuil et l'hommage.
05:22Donc, c'est quelque chose d'important.
05:23Moi, je ne suis contre cette équation qui veut que lorsqu'un occidental tue un musulman,
05:28on l'appelle martyr.
05:29Mais lorsqu'un musulman tue un autre musulman, la somme est égale à zéro.
05:32Je n'aime pas ça.
05:33Les morts sont des morts auxquelles on doit justice, parole, mémoire et devoir de mémoire.
05:37Donc, ce n'est pas le fait d'un régime.
05:40Au fait, ce roman, pourquoi il a cristallisé autant de réactions chez certains, c'est
05:43que, un, je sais que le roman national ne tolère pas les romans.
05:47Deux, qu'il y a une ronte mémorielle, elle n'est pas l'exclusivité du régime, mais
05:51aussi de beaucoup d'intellectuels.
05:52Trois, les islamistes ont fait la guerre aux Algériens et rien de mieux pour faire oublier
05:57leur crime que de parler de la guerre d'indépendance.
06:00Donc, j'ai sur le dos une sorte de trinité qui ne veut pas qu'on parle de cette guerre-là.
06:06Et c'est pour ça que vous avez voulu rendre justice à toutes ces victimes dans ce livre
06:10ouride qui est paru aux éditions Gallimard Prix Goncourt 2024.
06:15Et on va parler de votre héroïne dans un instant sur Europe 1 tout de suite.
06:20Vous écoutez Culture Média sur Europe 1 9h30 11h avec Thomas Hill.
06:24Et ce matin, Thomas, vous recevez le lauréat du Prix Goncourt Kamel Daoud pour son dernier
06:29roman Ouri, publié chez Gallimard.
06:31Et alors vous, en tant que journaliste, vous avez tenté de couvrir cette guerre civile
06:36en Algérie dont on parlait Kamel Daoud, mais devant l'impossibilité de dire les choses
06:41sur place, vous avez décidé il y a un peu plus d'un an de venir en France pour écrire
06:45ce livre Ouri, qui est l'oeuvre d'un romancier, mais donc aussi du journaliste que vous êtes,
06:50parce que tout ce que vous racontez dans ce livre, ça repose sur des faits réels.
06:54Oui, je pense que vous le savez, en tant que journaliste, les zones de guerre démantèlent
06:58le cloisonnement entre la littérature et le récit journalistique.
07:02La plupart des reporteurs de guerre finissent par faire des romans ou des récits qui sont
07:06un peu à la marge du roman ou trop proche du roman.
07:08Donc, qu'est-ce qui est fiction, qu'est-ce qui est réel dans une guerre ? C'est très
07:11difficile, vraiment.
07:13La guerre n'est récit que pour le spectateur qui la voit de dehors.
07:17Vous êtes face à la télé, vous regardez un documentaire, un reportage, la séquence
07:20a un début et une fin.
07:21Mais quand vous êtes à l'intérieur, c'est beaucoup de silence, c'est beaucoup d'errements.
07:26J'avais une vision qui peut paraître illittérate, mais la réalité, ce que je me disais, c'est
07:31un peu cynique.
07:32Quand il y a une guerre, il n'y a plus de vivants, il y a les morts et les survivants.
07:35Et parfois, je ne sais pas si on peut faire la différence entre les deux.
07:39Donc, ce que je raconte, c'est vrai que tout est vrai.
07:42Mais dans une guerre, tout est fiction.
07:44Et il y a des journalistes, beaucoup de journalistes ont vécu cette période-là.
07:48Ils ont des récits meilleurs que les miens, parfois, etc.
07:51Donc, c'est une expérience que j'ai vécue.
07:53Et il vous fallait évidemment un personnage.
07:55Vous endossez, Kamel Daoud, la voix d'une femme qui s'appelle Aube, une rescapée de
08:00cette guerre civile algérienne.
08:01Et dans son village natal, toute sa famille a été tuée par des islamistes.
08:05Elle, qui n'a que cinq ans à l'époque, elle est égorgée, mais elle survit.
08:10Elle porte sur elle ce que vous appelez son sourire.
08:12C'est une cicatrice de 17 centimètres sur son cou.
08:15Ses cordes vocales sont détruites.
08:17Elle est muette, comme toutes les femmes là-bas qui sont condamnées au silence par les hommes.
08:23Oui, mais si vous voulez une illustration au-delà de ce roman, allez en Afghanistan.
08:27Il y a des lois qui ont été votées pour interdire aux femmes de respirer, de rire,
08:30de parler, et dernièrement, de parler entre elles.
08:34Ça ne m'étonne pas, mais cette héroïne dont vous parlez, qui n'est pas la seule
08:37héroïne de ce roman, il y en a d'autres, d'autres femmes.
08:39Elles sont toutes les femmes que j'ai croisées en Algérie, et les hommes aussi,
08:43qui ont été blessés par cette guerre, et qui ont été mutilés dans leur propre corps,
08:46dans leur famille, dans leur nom, dans leurs souvenirs, etc.
08:49Au fait, je ne suis pas le premier romancière à avoir tenté ça,
08:53mais je pense qu'on est à un moment où il faudrait multiplier la parole sur cette
08:56guerre-là, parce qu'elle concerne tout le monde, et pas seulement le devoir de mémoire en Algérie.
09:00Et dans le livre, Aube, elle a 26 ans, elle est enceinte,
09:04et elle dialogue avec le fœtus qu'elle porte, persuadée que c'est une fille.
09:07Elle la nomme Ouri, donc mot qui donne son titre à votre livre.
09:11Ouri, c'est le nom qu'on donne aux femmes du paradis.
09:15Mais Aube, elle compte avorter, rendre au paradis son Ouri.
09:19Vous écrivez ça.
09:36Et c'est terrible ce que vous écrivez là, Kamel Daoud, parce que pour vous,
09:40finalement, la vie d'une femme en Algérie, elle est si dure qu'elle ne vaut même pas la peine
09:44d'être vécue ?
09:46Souvent, et une femme a le droit de le penser.
09:49C'est mon personnage qui le pense par rapport à des circonstances,
09:51mais sachant la condition des femmes un peu dans le monde que vous appelez arabe,
09:55et dans le monde, de toute façon, ce n'est pas quelque chose qui est gay.
09:59C'est la réalité.
10:00En Algérie, il y a eu beaucoup d'avancées depuis l'indépendance sur la condition de la
10:03femme, l'accès à l'espace public, le travail, mais depuis la montée de l'offre politique
10:08islamiste, beaucoup de choses reculent.
10:12Beaucoup de libertés reculent.
10:13Beaucoup de libertés sont maintenant contestées et elles sont ouvertement contestées par les
10:19prêcheurs, par les prêches, par beaucoup de choses.
10:21Donc, être femme, nous, on n'a pas idée.
10:24Vous savez, nous, le matin, on se lève, on se regarde, je ne me rase pas,
10:27je mets une chemise grise, un pull noir ou pas.
10:30Il y a des pays où une femme doit mesurer au centimètre près la longueur de sa jupe
10:34parce qu'elle sera accusée d'avoir provoqué des schismes ou de la sécheresse.
10:38Pour vous, le rapport des hommes envers les femmes est absolument pathologique.
10:42C'est le nom que vous utilisez en Algérie et dans beaucoup d'autres pays, d'ailleurs,
10:46qui sont gangrénés par l'islamisme.
10:48Vous parlez de l'Afghanistan, il y en a beaucoup d'autres aussi.
10:51Et vous avez écrit dans le point que le sexe est la plus grande misère dans le monde d'Allah
10:56et que le voile n'est pas une liberté.
10:57Ça vous vaut des accusations d'ailleurs, aujourd'hui, de traîtrise, d'islamophobie,
11:02y compris même en France.
11:04Vous avez ce genre d'accusations.
11:05Les choses sont claires pour moi.
11:06Les plus grands islamophobes au monde, ce sont les islamistes.
11:09Ce sont eux qui ont tué le plus de musulmans.
11:11En termes d'islamophobie, ils ont quand même le haut de la liste.
11:14Le reste, c'est des débats, des polémiques, des insultes, des diffamations, des fake news.
11:18Mais ceux qui ont tué le plus de musulmans sont les islamistes.
11:21La Syrie, l'Algérie, l'Égypte, le Soudan, l'Arabie Saoudite, la Jordanie, partout.
11:26Partout, ils ont tué.
11:27Donc ça, c'est une chose.
11:29Moi, j'ai un rapport.
11:31Je respecte les religieux, je respecte les choix religieux de chacun,
11:33je respecte la foi de chacun.
11:35Mais à partir du moment où ça devient une idéologie,
11:37et généralement cette idéologie, surtout chez les monothéistes,
11:39ils sont fascinés par la femme, par la liberté de la femme, le corps de la femme.
11:42C'est une obsession profonde.
11:44J'ai mis des années à trouver des pistes de réponse.
11:46Je me suis dit, mais pourquoi ils en veulent autant à la femme ?
11:49Qu'est-ce qui les rend si malades ?
11:51Qu'est-ce qui les rend si troublés par la présence de la femme,
11:53au point de vouloir la voiler, l'enterrer, etc.
11:56Moi, je ne crois pas.
11:57Je ne crois pas en ça.
11:59Et vous ne mâchez pas vos mots, c'est le moins qu'on puisse dire.
12:03On vous entend et c'est admirable.
12:04Est-ce que vous avez peur pour votre vie ?
12:08Parce qu'aujourd'hui, vous devez avoir...
12:10Je n'aime pas répondre sur ce genre de questions,
12:11parce que c'est un classique.
12:13Je crois que vous avez en Occident une culture chrétienne
12:16qui fait qu'on cherche toujours un martyr crucifié, etc.
12:19Je ne réponds pas à vous, mais en règle générale.
12:21Je ne fais pas de ça ni le centre de ma réflexion,
12:24ni le centre de mon œuvre.
12:25C'est très prétentieux de parler comme ça.
12:27Et quoi que ce soit, je pense que...
12:29Écoutez, j'ai une mère, j'ai une épouse, j'ai une fille.
12:32Qu'est-ce que vous voulez que je fasse ?
12:33Que je m'agenouille et que je dise aux autres
12:34qu'ils veulent les voiler, les enterrer ?
12:35Vous avez raison.
12:36Ce n'est pas une question de courage, c'est une question de dignité.
12:38C'est que si les gens sont capables d'autant de renoncements,
12:42j'admire leur courage, quelque part.
12:43Parce qu'ils ont le courage de se regarder au miroir et de renoncer.
12:47Alors, est-ce que je suis dans la posture du héros ?
12:49Je n'aime pas.
12:50Je n'aime pas ce genre de réflexion.
12:51Je n'aime pas répondre à ce genre de questions,
12:53parce que je ne suis...
12:54La jeune fille qui s'est promenée quasiment nue
12:58dans une enceinte universitaire à Téhéran
13:01voulait que moi, je définisse le courage face à une femme.
13:03Pareil, je ne peux pas le faire.
13:05On va continuer à parler de votre livre.
13:07Ouri, lauréat du prix Goncourt 2024, Kamel Daoud.
13:10Et puis, dans un instant, un petit peu de légèreté.
13:13Quoique, avec Olivier Pouls,
13:14ça peut aussi être assez lourd dans l'assiette.
13:17A tout de suite sur Europe 1.
13:19Vous écoutez Culture Média sur Europe 1, 9h30, 11h avec Thomas Hill.
13:23Et ce matin, vous recevez l'écrivain Kamel Daoud,
13:26lauréat du prix Goncourt pour son roman que vous pouvez découvrir
13:30si vous nous suivez en vidéo maintenant sur Europe 1.fr.
13:33Son roman Ouri, publié chez Gallimard.
13:36Avec cette héroïne aube qui tient un salon de beauté
13:40chez Erazade, où elle offre un moment de répit aux femmes
13:43qui, pour quelques instants, ne sont plus sous le regard des hommes.
13:45Mais alors, juste en face de son salon, il y a une mosquée
13:48où on prêche des choses absolument inimaginables
13:50qu'elles entendent, elles, dans les haut-parleurs,
13:52comme l'interdiction de se parfumer, de s'épiler les sourcils,
13:56de s'allonger les cils ou les ongles,
13:58d'ajouter des tresses à leurs cheveux, même d'arranger leurs dents.
14:02Ce sont des choses que vous avez vraiment entendues, ça, Kamel Daoud ?
14:04Oui, mais que beaucoup de gens, on peut les entendre, je veux dire.
14:08C'est des prêches, ce sont des prêches un peu...
14:10Je dirais pas que tous les prêches sont dans ce sens-là,
14:12mais très souvent, très très très souvent,
14:15les prêches tournent autour de la femme et de son corps,
14:17et de ce qu'elle ne peut pas faire de son corps.
14:19Donc c'est des choses que j'ai entendues.
14:21Il n'y a rien d'allégorique.
14:22Cette mosquée qui a un cercueil à l'entrée,
14:24elle n'était pas très loin de chez moi.
14:26Donc tout cela, je l'ai vu, je l'ai vécu,
14:28comme beaucoup beaucoup d'Algériens.
14:30Et votre héroïne a fini par poser cette question,
14:32pourquoi ce Dieu nous hait tant ?
14:34Qu'avons-nous fait pour le mettre en colère depuis 3000 ans ?
14:38Et en vous lisant, on a surtout envie de poser la question à ces hommes,
14:41pourquoi est-ce qu'ils cherchent à ce point à faire disparaître les femmes ?
14:44Est-ce que vous, vous arrivez à le comprendre, Kamel Daoud ?
14:47Comprendre, non, mais j'ai des pistes, j'ai des théories du malheur.
14:52Moi, je crois que la femme, elle renvoie l'image de leur humanité
14:58à ceux-là qui se prennent pour des dieux.
15:00Au fait, quand quelqu'un nie son corps,
15:02quand quelqu'un récuse son corps par l'ablution,
15:05par la purification, etc.,
15:07finalement, il se prend pour Dieu.
15:09Ob dit à sa fille, méfie-toi, quand les hommes te parlent de Dieu,
15:11ils te parlent d'eux-mêmes.
15:13Et donc, ce sont des gens qui veulent être des abstractions.
15:16La femme arrive, elle est en face,
15:17elle leur renvoie à leur faiblesse, leur précarité,
15:21leur défaillance, le désir à leur humanité,
15:25à la mort, à beaucoup de choses qui sont de l'ordre de l'humain
15:27et qui les rappellent, qui leur rappellent à leur humanité.
15:29Je pense que c'est ce miroir, ce jeu de miroir,
15:32ce jeu de dépendance qui fait notre humanité.
15:34Ils n'en veulent pas.
15:35Tous les religieux n'en veulent pas.
15:37Et j'ai vu que vous étiez aussi inquiet pour la France
15:40parce que vous voyez cet islamisme progresser dans notre pays
15:45et dans votre pays d'adoption désormais, Kamel Daoud.
15:48Vous le voyez ça aussi en France ?
15:49Oui, je croyais des radicalités.
15:51Elles ne sont pas exclusivement religieuses
15:52parce que je vois aussi des familles politiques,
15:54des courants politiques qui sont dans cette radicalité-là.
15:56Je pense que c'est mondial aussi.
15:58Mais l'islamisme français ou européen, c'est une réalité aussi.
16:03C'est une réalité qui se grève sur des faiblesses,
16:06sur la culpabilisation, sur la culpabilité.
16:08C'est une réalité.
16:09C'est un peu difficile de tenir ce genre de discours d'alerte
16:12parce que les choses changent.
16:13Vous êtes dans un pays où on dénonce l'islamophobie.
16:16Si vous arrivez en disant qu'attention à l'islamisme,
16:18on va confondre votre alerte avec une sorte de,
16:21je n'aime pas ce mot, de stigmatisation, etc.
16:24Mais c'est des choix à faire dans la vie.
16:25Donc moi, je pense qu'en France,
16:27on a vraiment, urgentement, intérêt à gagner les musulmans
16:32pour ne pas les perdre au profit des islamistes.
16:35Il est important que la France gagne ses musulmans
16:37parce que c'est le seul moyen de faire barrage aux islamistes.
16:40Est-ce que parfois, il n'y a pas un effet loupe
16:43sur certains événements qui pourraient être minimes
16:47par rapport au reste de la population
16:49et qu'on met en exergue et qui, du coup, pourraient alerter ?
16:53C'est une question que je peux vous poser.
16:54Vous êtes journaliste et moi, je suis là depuis peu.
16:56Mais c'est vrai, on est dans les médias.
16:59Les médias, ce sont des collections de loupes, des faits de loupes.
17:02En fait, moi, je pense que parfois,
17:04il y a des choses qui alimentent cette peur.
17:07Dans le mot islamophobie, il y a le mot phobie.
17:08Les gens ont peur.
17:10Écoutez, il y a eu des gens qui ont été tués dans ce pays-là.
17:13Est-ce que ça excuse que l'on rejette les musulmans ?
17:15Je ne pense pas.
17:16Est-ce que ça explique ?
17:17Oui, ça explique.
17:19C'est ainsi.
17:19Moi, je suis un enfant de la guerre civile algérienne.
17:21Je n'arrive pas à voir le monde parfois au-delà de ce biais.
17:24J'en suis conscient.
17:25Mais c'est aussi une réalité.
17:27J'ai envie que ce pays-là gagne ses musulmans,
17:30que les musulmans de France gagnent leur francité
17:33et s'installent véritablement dans ce pays-là
17:36pour qu'on puisse voir quelle est la stratégie des islamistes.
17:40Mais encore une fois, je parle à partir d'une expérience subjective.
17:42Je suis écrivain, je ne suis pas islamologue,
17:45je ne suis pas quelqu'un qui parle au nom des morts ou des vivants.
17:47Mais je pars, je vois le monde à travers mes blessures.
17:50Et c'est totalement légitime, même si c'est irrationnel.
17:54Et pour vous, l'islamisme, il sera là
17:56tant qu'on ne s'attaquera pas vraiment aux textes fondateurs de l'islam ?
17:59Elle est là, la solution ?
18:01Moi, j'avais lu un éditorial dans un journal coéthien
18:03qui était très courageux, qui disait
18:05mais pourquoi en ces temps qu'il y ait des al-Bardadi, des talibans, etc.
18:10Il dit qu'on en aura toujours des gens comme ça dans 10 ans, dans 20 ans.
18:13Parce que les textes matrices n'ont pas été réformés, n'ont pas été touchés.
18:16Personne n'ose, par peur.
18:17Mais qui osera y toucher ?
18:19Ça viendra, il faut demander à Luther, il l'a fait.
18:22D'accord, il l'a fait.
18:23On touche aux textes, il faut demander à l'église anglicane en Angleterre à l'époque.
18:28On le fait, on traduit, on rend accessible,
18:30on remonopolise le droit d'interpréter.
18:33En fait, moi, je parle toujours d'une idée
18:35qui peut paraître banale, mais qui m'a libéré.
18:38L'islam n'appartient à personne.
18:40Et celui qui a l'acte de propriété de l'islam,
18:42qui me le montre, je me tairai à jamais.
18:44Et puisque c'est une religion universelle,
18:46j'ai le droit de la réfléchir, de la penser,
18:49de l'interpréter à ma manière aussi.
18:51Donc, c'est ne pas céder le monopole de l'interprétation.
18:54Et ces textes ont besoin d'être relus, interprétés, expliqués, assainis.
18:59L'Arabie Saoudite le fait.
19:00Pourquoi pas en France ? Pourquoi pas en Algérie ? Pourquoi pas ailleurs ?
19:03Les réflexions de Kamel Daoud qui sont rassemblées dans ce livre
19:07Oury, paru chez Gallier.
19:12Nous sommes sur Europe avec Thomas Hill et l'écrivain Kamel Daoud,
19:15lauréat du Prix Goncourt avec son dernier roman Oury chez Gallimard.
19:18Oury, qui est un roman aussi sur la filiation,
19:21sur ce qu'on est prêt à transmettre à nos enfants.
19:24Est-ce que vous avez transmis, vous, à vos enfants,
19:26cette histoire de la guerre civile algérienne
19:28qu'ils n'ont pas pu forcément apprendre à l'école en Algérie ?
19:31Paradoxalement, non.
19:32Moi aussi, je faisais partie de ce silence-là.
19:34Quand j'ai fini ce roman, ma fille me disait
19:36« Mais est-ce que ça s'est vraiment passé ? »
19:38Donc, c'est là où j'ai pris conscience aussi de mon silence.
19:40Peut-être qu'on regarde nos enfants avec cette idée
19:42qui est totalement injuste et fausse et peut-être désastreuse,
19:45c'est celle de ne pas leur raconter nos malheurs.
19:48Pour les préserver, on oublie qu'il y a une filiation.
19:52Et ce que nous leur cachons, Nietzsche disait cette très belle phrase
19:55« Le secret du père, le fils le révèle. »
19:58Et je crois que ce que nous crochons à nos enfants,
20:00nous le cachons à nous-mêmes surtout.
20:02C'est un peu ce qu'était en train de faire l'Algérie,
20:04justement, à ne pas vouloir tourner vraiment cette page.
20:07Ils n'y arriveront jamais tant qu'ils ne la regarderont pas vraiment.
20:10Mais je crois, c'est pour ça que moi je suis admiratif
20:12face à des processus qui, avec toute leur faiblesse,
20:15l'Afrique du Sud, vérité et réconciliation.
20:17Vous voyez, la hiérarchie des mots, la vérité précède la réconciliation.
20:20C'est-à-dire qu'il faut dire les choses
20:22avant de pouvoir penser à une réconciliation.
20:24Est-ce que vos enfants, ils sont heureux
20:26depuis qu'ils sont arrivés en France, il y a un peu plus d'un an maintenant ?
20:28Généralement, je ne réponds pas sur les questions sur ma vie personnelle.
20:31Donc, mes enfants, je les protège, ils ont leur vie
20:34et je ne préfère pas méditer sur ça.
20:36Et vous, est-ce que l'Algérie vous manque aujourd'hui ?
20:39Mais bien sûr, c'est mon pays, l'Algérie me manque.
20:41Mais est-ce qu'on peut quitter son pays ?
20:43On peut changer de géographie, on ne peut pas changer d'histoire.
20:47Je ne confonds pas le pays avec ceux qui l'ont privatisé.
20:49Vous espérez y retourner un jour ?
20:51Je vais y retourner un jour, c'est sûr, parce que le lien filial, il est là.
20:57Je ne le confonds pas avec les politiques, avec les adversités intellectuelles, etc.
21:00Mais bien sûr, c'est mon pays, il m'appartient, j'ai l'acte de propriété de l'Algérie.
21:05Kamel Daoud, ce matin au micro d'Europe 1.
21:08Merci beaucoup d'être venu pour nous présenter ce prix Goncourt 2024
21:12qu'on vous recommande, évidemment.
21:14OURI, c'est disponible aux éditions Gallimard.
21:17Merci beaucoup.
21:18Merci à vous surtout.

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