Elles sont plus de 130 000 en France, elles sont là, discrètes, presque invisibles, cherchant un toit pour dormir, pour être en sécurité, un lieu où se réchauffer, un endroit propre où soigner son intimité. Qui sont-elles ? Qu’est ce qui les distinguent des hommes sans domicile fixe ? Les politiques publiques connaissent-elles bien leurs besoins ? Les dispositifs d’aide et d’hébergement sont-ils adaptés ? Rebecca Fitoussi et ses invités ouvrent le débat. Année de Production :
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00:00Femmes sans domicile fixe, fragments de vie, un film qui met des visages sur un phénomène peu connu, peu traité et pourtant majeur, sur 330 000 SDF en France, près de 40% sont des femmes.
00:14La délégation aux droits des femmes du Sénat a lancé des travaux, un rapport sera publié dans quelques jours.
00:19Quelle spécificité ? Quel danger ? Quelles mesures à prendre ? On va en parler avec nos invités.
00:24Dominique Vérien, bienvenue. Vous êtes sénatrice centriste de Lyon, présidente de la délégation aux droits des femmes.
00:29Vous avez participé à tous les travaux de la mission d'information de six mois sur les femmes sans domicile.
00:34Vous avez mené des auditions, vous avez participé à des maraudes, vous avez visité des lieux d'hébergement.
00:40Le rapport sera rendu public dans quelques jours, un mardi prochain je crois, sans nous dévoiler évidemment les détails des préconisations.
00:47Peut-être que vous pourrez nous en donner au moins l'esprit.
00:49Elina Dumont, bienvenue à vous également. Vous êtes comédienne, chroniqueuse sur RMC, militante engagée pour aider les sans-abri.
00:56Vous avez été vous-même sans domicile fixe. Vous avez vécu 15 ans dans la rue, vous en êtes sortie en 2002.
01:02Vous avez connu ce qu'il y a de pire quand on est sans-abri.
01:04Évidemment, on le verra en détail, l'exclusion, les agressions, les addictions.
01:08Et vous nous direz ce que les femmes SDF vivent de plus, de différent ou de pire que les hommes SDF.
01:13Docteur Valérie Thomas, bienvenue à vous également.
01:15Vous êtes médecin sociale de santé publique, urgentiste, addictologue, directrice médicale du Samu Social de Paris, le 115,
01:23que l'on voit tellement saturée dans le documentaire et évidemment on y reviendra ensemble.
01:26Et vous êtes spécialiste des violences faites aux femmes.
01:28Marie Loison-Leruste, bienvenue.
01:30Vous êtes maîtresse de conférences en sociologie à l'université Paris 13, spécialiste des questions de genre et d'exclusion,
01:36notamment de ce qu'on appelle le sans-domicilisme et le sans-abrisme.
01:40Vous avez publié plusieurs ouvrages sur le sujet, dont celui-ci,
01:44le sans-abrisme au féminin quand les haltes pour femmes interrogent les dispositifs d'urgence sociale.
01:50Merci à toutes les quatre d'être ici.
01:52Dans ce film, on découvre quatre visages, quatre femmes sur 130 000 en France.
01:58Les chiffres viennent d'un rapport de la Fondation Abbé Pierre.
02:00330 000 personnes SDF en France, 38 % de femmes, avec parfois des enfants.
02:063000 d'entre elles dorment chaque nuit dans la rue.
02:08Et des chiffres qui sont en constante augmentation.
02:11Dominique Vérien, des chiffres alarmants et pourtant sous-estimés, très peu traités.
02:15C'est un paradoxe qui vous a frappé, vous aussi ?
02:17Effectivement, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle nous avons voulu faire ce rapport.
02:21Puisque nous avions des retours d'associations qui nous en parlaient,
02:26mais sans qu'on ait l'impression que ce soit effectivement traité au niveau politique.
02:31Et donc nous avons décidé de nous emparer du sujet.
02:35Et en particulier de ce que nous ont dit les associations,
02:38ça fait dix ans qu'on voit de plus en plus de femmes et cinq ans de plus en plus d'enfants.
02:42Et avec effectivement des saturations pour pouvoir les accueillir.
02:46Donc c'était important de pouvoir étudier, comprendre ce qui se passait et voir que faire.
02:52Quand on prépare ce sujet, on se rend compte que les femmes cherchent à s'invisibiliser.
02:56C'est ce que j'ai beaucoup lu en préparant cette émission.
02:58Elina Dumont, est-ce que vous avez cherché à être invisible lorsque vous étiez dans la rue ?
03:01Ah oui, ça je peux vous le dire que quand j'étais dans le métro en particulier,
03:05si je pouvais me bonhomiser, je le faisais.
03:09Pourquoi ?
03:10Parce qu'en fait, on est tellement des proies sexuelles par rapport aux hommes.
03:18Et moi je me rappelle, même ça existe toujours en 2004,
03:23moi je faisais les lignes de métro de bout en bout,
03:26il y en a qui font les autobus de bout en bout.
03:28Mais en tout cas le principal c'est qu'un homme ne s'approche pas de nous.
03:33Après les femmes qui sont avec un homme, souvent ce n'est pas pour une histoire d'amour,
03:38c'est pour être protégé.
03:40Vous parlez de proies sexuelles, c'est fort, c'est le danger immédiat.
03:44Vous savez, moi j'ai toujours les inclus et les exclus,
03:47mais chez les inclus au bout du compte c'est la même chose.
03:50Sauf qu'une femme a la possibilité de rentrer chez elle.
03:54Elle a un toit.
03:57Marie Loison, le russe, vous confirmez,
03:59elles sont plus vulnérables les femmes dans la rue ?
04:01Parce que des téléspectateurs pourraient nous dire,
04:03pourquoi vous parlez des femmes sans domicile fixe ?
04:05Qu'est-ce qu'elles ont de particulier par rapport aux hommes ?
04:07Essentiellement c'est l'exposition aux dangers et notamment à la violence sexuelle ?
04:11En fait, Elina l'a très bien dit,
04:14dans la population en général, pour toutes les femmes,
04:18il y a beaucoup de violences sexistes et sexuelles.
04:20On en a des exemples d'actualité en ce moment avec le procès d'Imazan,
04:26mais avec plein d'autres cas aussi de violences sexistes et sexuelles
04:31au sein de la société pour l'ensemble des femmes.
04:33Alors quand on est une femme en situation de grande précarité,
04:37parfois racisée,
04:39subissant de multiples rapports de domination,
04:43forcément on est encore plus victime,
04:47on a un risque plus grand d'être victime de ces violences.
04:51Moi je voudrais aussi rebondir sur ce que vous disiez Elina,
04:55parce qu'effectivement on parle beaucoup de l'invisibilité des femmes dans la rue,
04:59mais en réalité les femmes sont certes invisibles,
05:03mais on ne les voit pas non plus.
05:05Cette invisibilité est construite socialement,
05:08parce qu'on ne les voit pas forcément dans la rue,
05:11parfois elles s'invisibilisent en se cachant,
05:15mais aussi parfois en se rendant un peu comme tout le monde,
05:20pour ne pas forcément être perçues, pour éviter les violences.
05:24Dans les structures d'hébergement c'est le cas aussi,
05:27mais dans les logements il y a aussi de la violence en réalité,
05:30de la violence conjugale, de la violence domestique,
05:33et du coup pour les femmes c'est ça la spécificité,
05:36c'est un rapport au logement, à l'espace public et à l'hébergement,
05:39qui est un peu différent de suite des hommes à cause des violences de genre.
05:42Oui mais je voudrais juste rebondir sur ce que vous dites,
05:44je suis d'accord avec vous,
05:46sauf que quand vous avez un toit, vous avez encore la possibilité,
05:49même si après ce sera en quête sans suite,
05:52mais quand vous êtes sans domicile fixe,
05:54vous vous faites violer, vous allez au commissariat,
05:56alors là on n'en a rien à faire.
05:59Alors là je peux vous le dire, vous dites,
06:01oui je suis à la rue, je me suis fait violer par trois mecs,
06:03alors là ce n'est même pas la peine d'ailleurs.
06:05Vous comptez encore moins à leurs yeux.
06:06Alors là on compte encore moins.
06:07Dr Valéry Thomas, quelle est la spécificité des femmes sans domicile fixe sur le plan sanitaire ?
06:12J'ai envie de parler des choses qui sont un peu abordées d'ailleurs,
06:15dans le documentaire, mais les questions aussi d'hygiène intime,
06:18de rapport à la sexualité, de grossesse, peut-être d'avortement,
06:21sur le plan sanitaire il se passe des choses différentes j'imagine ?
06:24Il se passe des choses différentes,
06:26et probablement le point de départ c'est ce qui les a conduits en rue.
06:30C'est-à-dire que oui elles sont exposées à la violence en rue,
06:33mais c'est très souvent la violence qui les a conduits jusqu'à des situations de rue.
06:38On le sait pour les personnes, les femmes en exil,
06:42c'est un motif d'exil, d'avoir été exposées à des violences politiques,
06:45conjugales, intrafamiliales.
06:47Mais c'est aussi le cas, on le voit très bien,
06:50enfin moi je trouve que c'est le point commun de ces quatre femmes,
06:52elles racontent toute une histoire de violence.
06:55Donc je dirais que les conséquences sur la santé des femmes,
06:58elles sont d'une part liées à ces violences, donc antérieures à la rue,
07:01donc des conséquences psychiques qu'on connaît,
07:03qui sont le psychotraumatisme, les femmes victimes de violences sexuelles,
07:06c'est 80% de chance d'être atteinte d'un trouble de stress psychosomatique,
07:10et ce stress-là ça conduit à de l'anxiété,
07:14ça conduit à un risque suicidaire beaucoup plus élevé dans la population en général,
07:18ça conduit parfois à des présentations psychiatriques,
07:21ça ressemble à des psychoses,
07:23et quand on a vraiment subi des atrocités,
07:25certaines elles vont s'échapper dans quelque chose qui ressemble à la psychose.
07:29La question des addictions, bien sûr, qui apparaît en filigrane,
07:33mais les addictions c'est de l'auto-médication,
07:36c'est-à-dire il faut soulager cette angoisse,
07:38il faut survivre à l'idée d'être en rue.
07:40Je discutais avec un patient encore la semaine dernière,
07:43qui me disait je bois pour ne plus avoir peur,
07:45c'est le cas de ces femmes, ou autre chose, pour celles qui consomment.
07:48Ça je suis d'accord, mais quand on est dans la rue,
07:50il y a aussi des hommes, moi personnellement,
07:54j'étais complètement paumée à 18 ans,
07:56j'étais à la rue parce que moi je viens de l'aide sociale à l'enfance,
07:59et c'est quand même des gars, des dealers qui sont venus vers moi,
08:03ils m'ont dit goûteurs, c'est super, et je suis tombée dans le krach.
08:06Par naïveté ?
08:07Par naïveté, bien sûr.
08:08Pas par refuge, c'était pas à ce moment-là un refuge.
08:10C'est pour ça que je tiens à le dire.
08:12Après plus tard, j'ai quitté le krach, bon après c'était dur,
08:15je suis tombée dans l'alcoolisme,
08:16mais le krach, par exemple, c'est parce qu'il y a plein d'hommes
08:19qui se disent tiens, celle-là, elle a l'air un peu paumée,
08:22mais je l'ai fait par naïveté.
08:23Mais l'addiction va avec la rue, vous dites que c'est impossible ?
08:25Ouais, souvent quand même.
08:27C'est un contexte qui favorise, c'est un produit qui parfois répond,
08:30les gens choisissent un produit qui va répondre à un symptôme en fait.
08:34Donc l'alcool ça va sédater, le krach ça va concentrer.
08:39Produit, contexte, et un individu avec ses besoins,
08:43ses cicatrices ou ses cicatrices pas refermées.
08:46Et puis avec une spirale infernale,
08:48puisque une fois que, pour supporter la rue, on tombe dans les addictions,
08:51les addictions font qu'on a plus de mal à sortir de la rue,
08:54et à retrouver un parcours, etc.
08:56Donc c'est effectivement très compliqué de pouvoir s'extraire,
09:00mais vous en parleriez forcément.
09:01Mais on n'a pas parlé des grossesses et des avortements aussi, c'est un sujet.
09:04Moi j'ai avorté deux fois dans la rue.
09:05Vous avez avorté deux fois ?
09:06J'ai avorté à 21 ans, mais j'avais sans doute pas pigé
09:10quand un homme avait envie...
09:12Parce que moi dans la rue, tout le monde...
09:14Enfin, je sais pas comment vous dire.
09:16J'ai pas vraiment fait de la prostitution,
09:18mais ce que je peux dire,
09:20parce que quand on dit prostitution, c'est égal avec argent.
09:22Moi j'ai couché pour un toit.
09:24Vous imaginez bien que les hommes qui m'invitaient, c'était pas...
09:27C'était par intérêt.
09:29Elle le dit, Leïla, dans le champ.
09:30Elle dit qu'elle, elle résiste à ça,
09:32mais que c'est très difficile de résister.
09:33Et franchement, je l'ai trouvée très courageuse,
09:35et c'est là que je me dis quand les gens me disent
09:37« Oh Lina, t'es extraordinaire ! »
09:39Mais elle, elle veut pas coucher.
09:43Que moi, je l'ai fait.
09:44Vous avez cédé ?
09:45Ah bah moi j'ai couché.
09:46Attendez, moi je voulais pas être dehors.
09:47J'ai été quand même...
09:48J'ai avorté deux fois, 21 ans et 23 ans,
09:50parce que moi je venais de l'aide sociale à l'enfance,
09:52pupille de l'État.
09:53Il était pas question que mes enfants, ils retournent...
09:56Mais...
09:57Et pour avorter, pardon,
09:58pour rentrer un petit peu dans le détail,
09:59mais ça a été compliqué en tant que femme sans domicile ?
10:01Est-ce que ça a été facile d'accéder à l'avortement ?
10:03Écoutez, la première fois,
10:05je savais qu'il y avait un truc qui déconnait dans mon corps.
10:08Je suis allée voir une travailleuse sociale qui a été extraordinaire.
10:11Faut savoir qu'il y a des travailleurs sociaux extraordinaires,
10:13dont Valérie Thomas.
10:15Et j'avais dépassé trois mois.
10:18Et elle me dit...
10:20Non, le docteur me dit
10:21« Vous n'avez plus qu'à aller en Angleterre ou en Espagne. »
10:24J'ai dit « Mais moi j'ai pas d'argent ! »
10:26Et elle a été super l'assistante sociale.
10:28Elle a mis avortement pour des raisons médicales très graves.
10:32D'accord.
10:33La deuxième, là, j'ai pas attendu les trois mois passés.
10:36Mais franchement...
10:37Marie Loison-Leruste, est-ce qu'on a des informations
10:39sur la typologie des femmes sans domicile fixe ?
10:43Est-ce qu'on a plus d'informations ?
10:45Est-ce qu'on sait si elles sont sans papier, avec papier ?
10:48Est-ce qu'on a des informations sur ça ?
10:50Alors, il y a deux choses.
10:53Aujourd'hui, il faut savoir quand même
10:55qu'on n'a pas de données très fiables, très précises.
11:00On attend avec pas mal d'impatience
11:02la prochaine enquête sans domicile de l'INSEE en 2025,
11:05qui nous permettra d'avoir des données en population générale.
11:09Après, les associations produisent beaucoup de données,
11:13mais qui sont quand même souvent un peu parcellaires.
11:15Ça dépend des territoires.
11:17Donc ça, c'est la première chose.
11:19Parfois, il est quand même un peu difficile de donner des chiffres.
11:22Et on entend beaucoup de chiffres qui sont...
11:24Plus ou moins vrais.
11:26Attention, voilà.
11:27Quand on dit, par exemple, qu'il y a 38 % de femmes sans domicile
11:31parmi la population des sans-domiciles,
11:34ce chiffre, il date de 2012.
11:36Donc, il est très certainement, aujourd'hui, bien plus important.
11:40Ça ne veut pas dire que les femmes sont apparues.
11:43Elles ont toujours été là.
11:44Mais en tout cas, elles sont sans doute un peu plus nombreuses aujourd'hui.
11:48La deuxième chose, moi, auquel je tiens beaucoup...
11:52Quand vous m'avez présentée,
11:53vous avez évoqué ce terme de sans-domicilisme.
11:56Moi, je préfère parler de sans-domicilisme que de sans-abrisme.
11:59Alors, c'est un néologisme.
12:00Sans-domicilisme, on ne l'emploie pas beaucoup.
12:02Mais il faut distinguer les personnes qui sont vraiment dans la rue,
12:06qui vivent dans des lieux non prévus pour l'habitation,
12:08de toutes les personnes qui sont beaucoup moins visibles
12:11et qui sont aussi hébergées dans beaucoup d'institutions.
12:15Donc, souvent, de façon un peu raccourcie,
12:17on a tendance à parler des SDF pour parler de tout le monde.
12:20Mais en réalité, il y a aussi beaucoup de personnes,
12:23beaucoup plus en réalité,
12:24qui sont hébergées par plein d'institutions d'aide,
12:26dont le Samus Social, par exemple,
12:28mais plein d'autres associations.
12:31Et en ce qui concerne les femmes,
12:33elles sont en fait assez peu nombreuses
12:35à être strictement sans-abri,
12:37donc à être vraiment dans la rue.
12:38Elles sont beaucoup plus nombreuses à être hébergées,
12:40parfois dans des conditions pas très...
12:44Pas nettes, c'est ce que vous décriviez.
12:46Oui, et puis on ne sait pas dans quelles conditions...
12:49À quelles conditions elles sont hébergées.
12:51Il y a probablement une enquête en cours
12:53par l'Observatoire du Samus Social.
12:54Et effectivement, les hébergements chez les tiers...
12:56Pas pour faire gaffe.
12:58Je vous rappelle...
12:59Et où il y a beaucoup de femmes.
13:01Et qui sont des types d'hébergement
13:03qui sont peu reconnus par les institutions.
13:05Ce n'est pas un critère de priorité
13:07pour être hébergée au 115, par exemple.
13:09Or, quand on sait qu'il y a beaucoup de femmes
13:12qui sont hébergées parfois contre services sexuels,
13:15c'est un vrai problème,
13:17parce que quand elles appellent le 115,
13:18on va leur dire que vous n'êtes pas prioritaire.
13:20Oui, parce que vous n'êtes pas vraiment sans-abri.
13:22Vous les avez perçues, toutes ces nuances,
13:24pendant ces auditions, Dominique Vérien ?
13:26Oui, tout à fait.
13:27Alors, malheureusement, ce ne sont pas les seules
13:29qui sont considérées comme n'étant pas prioritaires,
13:32puisque, justement, le nombre augmentant,
13:35on a pu le voir.
13:36Et d'ailleurs, je voudrais parler, moi aussi,
13:39de toutes les personnes qui travaillent au niveau social
13:42et, entre autres, au niveau du 115.
13:44Toutes ces personnes qui répondent.
13:47Et qui répondent en n'ayant pas forcément de solution.
13:51Et là, c'est absolument terrible,
13:53parce que c'est vrai que c'est une perte de sens
13:55dans le travail qu'on peut mener,
13:57parce que c'est vraiment compliqué de répondre à quelqu'un
14:00qui est une femme, à la rue, avec un enfant,
14:03de trois mois, et lui dire non,
14:05je ne vais pas donner un toit à cette femme et à cet enfant.
14:09Donc, c'est vraiment très compliqué.
14:11Et oui, on a pu sentir tout ça.
14:13Pareil, entre la ruralité et les villes,
14:16grandes villes où il va y avoir des associations,
14:19ruralité où il y aura moins de solutions,
14:21sauf ces solutions, éventuellement,
14:23d'hébergement contre service,
14:25qui existent, parce qu'en fait,
14:27ça existe partout, le fait d'être à la rue.
14:30Il est vrai aussi que, de façon systématique,
14:34alors, il y a des femmes étrangères,
14:36donc là, c'est une migration,
14:38et elles n'avaient pas un logement,
14:40et beaucoup de femmes, par contre,
14:41qui ont quitté leur logement à cause de violences.
14:44On connaît les proportions ?
14:46Non, on ne les a pas, c'est pareil,
14:48on n'a pas vraiment de chiffres,
14:50donc nous, on se dit...
14:52On a une intuition de moitié-moitié,
14:55de femmes étrangères et moitié de femmes...
14:58C'est une intuition, mais effectivement,
15:01si on pouvait avoir des chiffres...
15:03Je voudrais juste rajouter quelque chose.
15:05Moi, j'étais à la rue à 18 ans.
15:07Aujourd'hui, j'ai plus de 50 ans.
15:10Il y a un nombre de femmes
15:12qui sont à la retraite,
15:14qui sont à la rue,
15:16et ce ne sont pas des personnes migrantes.
15:18Ce sont des femmes qui ont travaillé toute leur vie,
15:20mais les loyers ont tellement augmenté,
15:22et moi, je connais une femme de 74 ans,
15:25elle vit dans sa voiture.
15:27Il faut en parler, de ces femmes-là.
15:29C'est exactement ce que j'allais dire.
15:31Tout à l'heure, je n'ai pas développé la question sanitaire,
15:33mais aujourd'hui, les femmes qui sont, par exemple,
15:35hébergées dans nos halte-femmes
15:37du Samu Social,
15:39on a des femmes,
15:41comme la population sans domicile,
15:43aujourd'hui, qui vieillissent,
15:45qui ont des troubles cognitifs,
15:47qui ont de petits moyens, comme tu dis,
15:49une petite retraite, et qui se retrouvent
15:51expulsées de leur logement.
15:53On est confrontés à une situation qui, pour moi, est inédite.
15:55On a des enfants en rue,
15:57et on a des personnes âgées en rue, expulsées,
15:59dont la durée de vie en rue,
16:01elle est quand même...
16:03C'est très compromis.
16:05La charge précise de ces femmes à la rue,
16:07les structures sont-elles adaptées, suffisamment nombreuses ?
16:09L'extrait que nous allons revoir,
16:11et ça rejoint ce que vous disiez, Dominique Vérien,
16:13nous apporte des éléments de réponse.
16:15On va le regarder, cet extrait, on va le revoir ensemble,
16:17et on en parle juste après.
16:29Oui, allô, madame ?
16:31Oui, bonsoir.
16:33Je suis dehors, madame,
16:35je sais même pas comment je fais pour tenir.
16:37Là, je dors dans des cables, machin,
16:39et quand j'appelle, j'arrive pas à vous joindre,
16:41et j'ai très peu de batterie,
16:43mon téléphone est complètement cassé depuis mon agression.
16:49Est-ce que vous aurez au moins,
16:51ne serait-ce qu'une nuit pour ce soir ?
16:53Un remarquable, n'importe quoi.
16:55Le policier est là pour l'instant,
16:57à partir de 20h, 20h15.
16:59Faut que je vous rappelle.
17:01À partir de 20h, 20h15.
17:03Voilà, à 20h.
17:05Capiche.
17:07Bonne chance à vous,
17:09de courant, j'envoie vos détails.
17:11Au revoir.
17:15Voilà, une séquence très touchante,
17:17Leïla qui pleure beaucoup dans le film,
17:19on est typiquement dans la situation que vous décriviez,
17:21Dominique Vérien, évidemment, je me tourne vers vous,
17:23vous êtes une responsable du 115,
17:25qu'est-ce qu'il se passe ?
17:27Je ne suis pas responsable du 115,
17:29en tout cas du Samu Social.
17:31Ce qui est sûr, c'est qu'aujourd'hui,
17:33le 115 fait de la gestion de pénurie de place.
17:35Et ce que vous disiez très bien sur les écoutantes,
17:37c'est qu'elles sont elles-mêmes
17:39dans une situation d'impuissance,
17:41et elles sont obligées d'appliquer des règles de priorisation.
17:43On en connaît certaines,
17:45il faut être enceinte, mais de plus de 7 mois.
17:47Un enfant en rue, mais de moins de 3 mois.
17:49Une pathologie grave, d'accord,
17:51mais à condition de pouvoir vraiment démontrer
17:53que votre pronostic vital est engagé
17:55si vous restez en rue.
17:57En fait, tout simplement, il n'y a pas assez de place
17:59pour de vrai.
18:01Et un peu plus tard, dans le documentaire,
18:03l'élève va dire,
18:05elle dit ce dont elle a besoin,
18:07j'ai besoin d'une continuité de nuitée.
18:09Elle a même...
18:11Elle a besoin de plusieurs nuitées, absolument, pour se poser.
18:13Donnez-moi 2-3 semaines.
18:15Et aujourd'hui, nos capacités d'hébergement
18:17font que ça,
18:19c'est quand même la base de la protection.
18:21Comment on soigne quelqu'un qui a peur tout le temps ?
18:23La particularité de quelqu'un qui a été déjà exposé
18:25à des violences, c'est d'être dans la peur,
18:27d'être absent à elle-même.
18:29Vous pointez un problème de moyens.
18:31Il n'y a pas assez de financement,
18:33et il n'y a pas assez de places dédiées.
18:35C'est-à-dire des places où les femmes
18:37vont être mises en sécurité.
18:39Les femmes victimes de violences font partie des priorités,
18:41mais parfois, on les met dans des places d'hôtel,
18:43la formule d'hébergement, finalement,
18:45la moins chère, où il y a des hommes.
18:47Ça peut être les dernières
18:49qu'on a mises à l'abri, si c'était dans des formules 1,
18:51sur des bordures d'autoroutes.
18:53Donc elles sont aussi potentiellement en danger.
18:55Absolument.
18:57On a un vrai sujet.
18:59La vraie crise de base,
19:01c'est la crise du logement,
19:03y compris du logement privé, qui ne se construit pas,
19:05qui, du coup, embolise
19:07le logement social, qui ne se libère pas,
19:09qui, du coup, embolise
19:11les foyers, parce qu'effectivement,
19:13un certain nombre d'associations
19:15mettent les gens à la rue
19:17de nouveau, donc,
19:19vont les garder, les accueillir,
19:21ce qui fait qu'on ne sait pas accueillir
19:23non plus les nouveaux, donc il y a tout un problème
19:25sur la chaîne du logement,
19:27et donc on a une vraie grosse
19:29crise du logement, pour ces sujets-là,
19:31pas que pour ces sujets-là, d'ailleurs,
19:33sur la crise du logement, mais, entre autres,
19:35ça a un véritable impact sur l'ensemble
19:37de la chaîne. Mais pour répondre à ce besoin d'urgence,
19:39par exemple, si on doit simplifier un peu les choses,
19:41il faudrait combien ?
19:43Je voulais dire,
19:45si on dit qu'il y a vraiment 5000 personnes en rue dans Paris,
19:47il y a 200 000 logements vides,
19:49qui, pour des raisons spéculatives,
19:51pour mille raisons, qu'on n'utilise pas,
19:53ces lieux, ils existent,
19:55il faudrait pouvoir les investir,
19:57et puis, il faudrait les investir,
19:59mais en tout cas,
20:01c'est vraiment ce mouvement-là, je dirais,
20:03du départ du Samu Social, qui était vraiment un mouvement assistantiel
20:05d'aller vers, aujourd'hui,
20:07pour moi, on a une responsabilité de
20:09mise en sécurité, de mise en protection,
20:11pour pouvoir ensuite faire un travail plus de soins.
20:13Et Nina Dumont, vous avez fait appel
20:15au 115 quand vous étiez dans la rue ?
20:17Oui, mais pas longtemps, parce que
20:19le peu de foyer où je suis allée, je ne voulais plus y retourner,
20:21c'était horrible, il y avait beaucoup de violence,
20:23parce que le problème, aussi, de ces centres,
20:25c'est qu'on nous mélange.
20:27Moi, j'étais une gamine toute gentille, au fond.
20:29Pas de chance.
20:31Vous vous retrouvez avec des personnes
20:33qui ont des graves pathologies,
20:35qui souffrent de psychiatrie,
20:37des voleurs, des voleuses.
20:39Moi, je me rappelle,
20:41à mon époque, en tout cas, je ne sais pas si ça se fait encore,
20:43il y en avait qui se retrouvaient sans chaussures, quand même.
20:45Et en fait,
20:47il y a toute cette misère qui est mélangée
20:49entre ceux qui souffrent d'alcoolisme
20:51et moi, là-dedans...
20:53Vous n'avez pas votre place.
20:55Je me dis, qu'est-ce que je fais là ? Et puis, j'avais peur.
20:57Vous imaginez, des fois, j'étais avec
20:59des gens qui avaient 50 ans.
21:01Je me disais, ils sont fous.
21:03Donc, même le peu de solutions qui existent n'est finalement
21:05même pas vraiment adapté aux femmes.
21:07C'est ce que vient de dire Elina,
21:09parce que c'est un de nos angles morts, à mon sens,
21:11notamment aux amies sociales, c'est les jeunes.
21:13Les jeunes qui sortent de la ZEU,
21:15les jeunes qui sont en errance,
21:17à qui est arrivé un certain nombre de choses...
21:19Traumatismes.
21:21Extrêmement traumatisants.
21:23On ne les voit pas en maraude.
21:25Ils se regroupent, ils se mettent à l'abri.
21:27Entre eux, on le voit, d'ailleurs,
21:29avec Alicia,
21:31ce groupe prétendument protecteur
21:33qu'on peut questionner.
21:35Donc, on a du mal à les rencontrer.
21:37Ils ne vont pas avoir le réflexe
21:39de demander de l'aide,
21:41et ils sortent des radars.
21:43Ils sont à haut risque.
21:45Moi, pour vous dire un truc qui existe toujours en 2024,
21:47même le SAMU, des fois,
21:49il répond ça quand vous avez 18 ans ou 19 ans,
21:51il faut savoir que du lundi au jeudi,
21:53les boîtes de nuit, c'est gratuit pour les filles.
21:55Moi, il faut vous imaginer, j'étais plus jeune.
21:57J'allais en boîte de nuit,
21:59je rencontrais toujours un tube,
22:01je dansais, je me fais des coups.
22:03Et encore maintenant, il y a des jeunes femmes
22:05qui sortent de l'aide sociale à l'enfance,
22:07elles passent toute leur nuit en boîte de nuit.
22:09Dans les boîtes de nuit.
22:11C'est pas adapté aux femmes.
22:13Je disais aussi que même les travailleurs sociaux
22:15n'étaient pas complètement formés à l'accueil des femmes.
22:17En fait, il faut bien se rendre compte
22:19que l'histoire de la prise en charge,
22:21c'est une prise en charge qui est assez androcentrée,
22:23c'est-à-dire qui a été faite
22:25pour les hommes, parce que,
22:27finalement, l'image, la représentation
22:29commune qu'on a de la personne dans la rue,
22:31mais aussi du SDF,
22:33pour aller vite,
22:35c'est une personne qui est blanche,
22:37qui est un homme,
22:39qui est plutôt âgé.
22:41Or, depuis quelques années maintenant,
22:43on voit, depuis les années 80,
22:45et pas que en France,
22:47on voit qu'il y a quand même une transformation
22:49des visages de l'exclusion,
22:51c'est-à-dire qu'en effet, il y a des jeunes,
22:53il y a des personnes plus âgées,
22:55il y a des personnes qui sont exilées,
22:57il y a des personnes qui sont des femmes,
22:59et en réalité,
23:01les dispositifs, eux, ne sont pas
23:03vraiment adaptés. Nous, c'est ce qu'on a montré
23:05avec ma collègue Rosanne Brault,
23:07dans les dispositifs de halte pour femmes
23:09qui se sont beaucoup multipliés ces dernières années.
23:11Déjà, on ne fait que de la mise à l'abri,
23:13alors qu'il y a une partie
23:15des femmes qui pourraient tout à fait
23:17accéder à un logement directement, sans passer
23:19par la case hébergement.
23:21Du coup,
23:23je reviendrai après sur les politiques publiques,
23:25parce que je pense que c'est très important.
23:27Mais voilà, donc,
23:29il y a une partie des femmes et des hommes,
23:31là, on parle des femmes, mais pour les hommes, c'est pareil,
23:33qui pourraient tout à fait ne pas rester
23:35dans ce circuit de l'hébergement qui abîme,
23:37en fait, parce qu'on est dans l'errance
23:39et qu'on va d'un dispositif
23:41à un autre, on appelle le 115, ça répond pas,
23:43etc. Donc,
23:45il faut voir qu'il y a eu cette transformation des visages
23:47de l'exclusion, que les dispositifs,
23:49il y en a beaucoup, mais en l'occurrence,
23:51ils sont peu adaptés aux femmes.
23:53Il y a vraiment des dispositifs indignes,
23:55je l'avais dit déjà
23:57lors de mon édition
23:59au Sénat.
24:01Je pense que
24:03je n'aide pas du tout la pierre
24:05aux travailleurs sociaux ou à l'intervention sociale
24:07de manière générale, mais c'est juste que
24:09on essaye de pallier, on essaye
24:11de faire ce qu'on peut, mais ça ne suffit pas
24:13en réalité. On ne peut pas dire
24:15qu'une ou deux nuités, ça suffit,
24:17là, elle le dit très bien dans le documentaire,
24:19pour pouvoir
24:21se sentir chez soi, en fait.
24:23Le droit au logement, ce n'est pas seulement être mis à l'abri,
24:25ce n'est pas seulement être domicilié quelque part,
24:27ce que font beaucoup d'associations,
24:29mais c'est aussi pouvoir accueillir des gens
24:31chez soi, avoir une intimité,
24:33pouvoir se projeter dans l'avenir,
24:35et c'est ça, en fait, le chez-soi.
24:37Se poser pour enfin penser à un avenir.
24:39Justement, parlons des politiques publiques, beaucoup de lois,
24:41beaucoup de déclarations d'intentions,
24:43j'ai fait une petite recherche avant cette émission,
24:45il y a eu la loi Dallau en 2007, le droit au logement opposable,
24:47l'État doit être le garant
24:49du droit au logement 2017,
24:51rappelez-vous les mots d'Emmanuel Macron,
24:53je ne veux plus, d'ici la fin de l'année,
24:55avoir des femmes et des hommes dans les rues, dans les bois, ou perdus.
24:57Je remonte encore plus loin,
24:592002, zéro SDF d'ici à 2007,
25:01ça c'était le slogan de campagne
25:03de Lionel Jospin,
25:05et enfin ce programme, un logement d'abord,
25:07sur 2018-2022,
25:09qui faisait de l'accès au logement la priorité
25:11pour lutter contre le sans-abrisme.
25:13Dominique Vérien, est-ce qu'avec le rapport que vous allez publier
25:15dans quelques jours, vous ne craignez pas que ce soit
25:17un rapport de plus, et que finalement,
25:19on n'arrive pas à adapter les politiques publiques
25:21à cette question du sans-abrisme,
25:23sans domicilisme, et en particulier des femmes ?
25:25J'espère que non.
25:27Je ne peux pas vous promettre que ce sera
25:29une efficacité, surtout en ce moment,
25:31mais où les temps
25:33sont plutôt incertains.
25:35Une chose est certaine, c'est qu'on va
25:37essayer d'agir, au niveau
25:39de la délégation en droits des femmes, quand on a
25:41un rapport, c'est qu'on tient à ce sujet
25:43et qu'ensuite on veut vraiment le faire vivre,
25:45quitte à harceler les
25:47ministres de tutelle pour
25:49essayer d'obtenir des choses.
25:51De toute façon, il faut trouver une solution,
25:53puisque aujourd'hui, ça n'est pas
25:55possible, et il est vrai aussi
25:57que la vraie solution,
25:59c'est le logement, ce n'est pas le logement
26:01d'urgence, parce que pour beaucoup,
26:03beaucoup de femmes, et surtout des femmes
26:05avec enfants, c'est la meilleure
26:07des solutions d'avoir un vrai toit
26:09et de pouvoir ensuite
26:11travailler, parce que
26:13quand on travaille, ce qu'on n'a pas dit, c'est
26:15qu'effectivement, les femmes qui sont à la rue,
26:17enfin les personnes qui sont à la rue d'une façon générale,
26:19mais les femmes aussi, font
26:21des kilomètres et des kilomètres, parce qu'elles vont
26:23aller dormir à Nanterre, et puis après,
26:25la nuit d'après, on va les mettre à
26:27Comblaville, et puis la nuit d'après, on va les mettre
26:29à Je ne sais où, et donc il n'y a
26:31aucune possibilité d'avoir un point fixe,
26:33de pouvoir scolariser correctement
26:35les enfants, de pouvoir essayer d'avoir
26:37un travail, de pouvoir régulariser
26:39d'une façon ou d'une autre sa situation,
26:41parce que le système est
26:43tel que
26:45c'est impossible de se
26:47stabiliser, donc il faut
26:49évidemment réussir à trouver la sortie
26:51vers le logement.
26:53Valérie Lettar, étant notre nouvelle ministre
26:55du logement, ce sera la première à laquelle
26:57nous allons aller remettre notre rapport.
26:59Et vous la connaissez bien !
27:01Non mais c'est vrai qu'on a le sentiment qu'il y a
27:03beaucoup de déclarations, beaucoup de promesses,
27:05mais finalement, la volonté politique, elle n'est pas
27:07mise en action. Mais c'est ce que j'allais dire, c'est un vrai
27:09choix politique, parce que
27:11aujourd'hui, et depuis plusieurs années
27:13maintenant, on est face à un problème
27:15d'offres, on est face à un problème de demandes,
27:17mais on est surtout face à un vrai problème
27:19politique en réalité.
27:21Depuis 2017,
27:23malgré le discours que vous avez
27:25rappelé du président de la République,
27:27on a eu une dégradation considérable
27:29du marché du logement.
27:33Je ne vais pas tout citer,
27:35mais il y a eu une diminution des APL,
27:37il y a eu
27:39une...
27:41la préférence communale, on pourrait dire ça
27:43comme ça, avec la loi Casse-Varian
27:45par exemple, qui a en plus...
27:47Voilà.
27:49Il y a toutes les normes européennes aussi.
27:51Une augmentation du nombre d'expulsions, donc...
27:53On ne fait rien finalement pour lutter contre le sans-abri.
27:55Ah non, au contraire ! Et moi je peux vous assurer,
27:57ils n'arrêtent pas de parler dans les politiques
27:59là,
28:01insécurité, insécurité. Eh bien,
28:03plus il y aura de femmes à la rue,
28:05plus il y aura d'enfants à la rue,
28:07parce qu'il y a quand même 3000 enfants à la rue
28:09qui ne vont pas à l'école.
28:11Ça veut dire quoi ? Ils vont devenir des délinquants
28:13comme moi, 15 ans et demi ?
28:15C'est très grave pour notre avenir.
28:17C'est un vrai coup, je pense que c'est très important.
28:19Personne n'a intérêt...
28:21Moi je finis par avoir un discours très néolibéral
28:23aussi, c'est-à-dire de dire
28:25est-ce qu'on se rend bien compte
28:27à quel point ça va être coûteux, c'est déjà
28:29très coûteux, de fournir
28:31autant d'hébergement, du soin
28:33à des personnes qui en fait ne sont pas logées.
28:35En effet, qu'est-ce qu'ils vont devenir ces enfants
28:37qui sont à la rue ?
28:39Sur l'essentiel à l'enfance,
28:41j'ai tendance à dire qu'un contrat jeune majeur,
28:43c'est un RSA en moins.
28:45Je peux vous contredire.
28:47Sur le contrat jeune majeur, vous avez bénéficié
28:49d'un contrat jeune majeur ?
28:51Contrat jeune majeur, c'est mon domaine.
28:53Là, actuellement, je me bats, parce que
28:55les contrats jeunes majeurs, les départements
28:57en prennent de moins en moins.
28:59Quand on en a un, je veux dire...
29:01Un sur 40 %.
29:03L'idée, c'est le département.
29:05C'est bien ça.
29:07Je suis bien d'accord avec vous.
29:09Moi, ça fait 10 ans que je travaille là-dessus.
29:11Ils font rien, les départements.
29:13Ce que j'essaie d'expliquer à mon président de département,
29:15c'est que quand il donne un contrat jeune majeur,
29:17c'est un RSA qui ne paiera pas ensuite.
29:19Donc, il a intérêt à investir sur la jeunesse aujourd'hui,
29:21parce que, justement, ça va pacifier derrière.
29:23Quand il y en a un, ça marche, en tout cas.
29:25Je milite pour les contrats jeunes majeurs.
29:27Et sur tous ces enfants,
29:29je rappelle, on est sur des foyers
29:31disloqués, qui ont des trajectoires
29:33de précarité, de violence.
29:35Ces jeunes-là,
29:37si on ne dépiste pas
29:39les antécédents traumatiques et si on ne les soigne pas,
29:41alors qu'on sait que quand on les dépiste
29:43et qu'on les soigne, ça marche,
29:45ils auront une vie.
29:47Ils auront des cicatrices, mais ce seront des cicatrices.
29:49Ce seront des mauvais souvenirs.
29:51Pourquoi ne pas se donner les moyens ?
29:53Pour moi, l'avenir aujourd'hui du monde
29:55de la médecine sociale
29:57et de la précarité en général,
29:59c'est grâce à la prévention secondaire.
30:01On doit poser la question
30:03systématiquement à toutes les personnes qu'on accueille.
30:05Nous, c'est un travail qu'on a
30:07attaqué au Salon Social de Paris.
30:09Les travailleurs sociaux, tous les professionnels de soins,
30:11toutes les personnes en interaction
30:13avec ces personnes à la rue
30:15ou sans domicile,
30:17de leur poser la question des violences
30:19et de les orienter vers le soin.
30:21C'est-à-dire qu'on prend nos responsabilités
30:23jusqu'à ce qu'on ait un jour éradiqué la question des violences.
30:25Est-ce que je peux vous donner un exemple
30:27pour vous dire ce que vous en pensez ?
30:29C'est la Finlande qui semble se distinguer
30:31en Europe et faire office
30:33d'exemple avec un programme intitulé
30:35Housing First.
30:37Le principe, c'est de fournir d'abord un logement
30:39mais un logement fixe sur une longue période
30:41et ensuite de voir en découler
30:43tout un tas de conséquences
30:45vertueuses.
30:47Qui dit logement fixe, dit problème de santé mentale
30:49un peu amoindri, plus d'addiction
30:51ou en tout cas moins.
30:53On trouve un travail, moins de chômage.
30:55C'est assez incroyable.
30:57Entre 1987 et fin 2022, le nombre de SDF
30:59est passé là-bas de 18 000 à 3686.
31:0114 euros par mois
31:03pour des appartements de 49 mètres carrés.
31:05Immeuble financé par une fondation
31:07qui reçoit 600 000 euros
31:09par an de subventions et peut emprunter
31:11à des taux préférentiels.
31:13Alors ça a coûté cher au début,
31:15mais là aussi ça s'est avéré payant
31:17pour le contribuable finlandais
31:19qui économiserait jusqu'à 9 600 euros
31:21par personne et par an.
31:23Est-ce que c'est un modèle
31:25dont on pourrait s'inspirer ?
31:27C'est un vieux modèle.
31:29Quand j'ai commencé mon internat
31:31il y a quelques années,
31:33un de mes premiers travail
31:35de bibliographie, c'était sur les utilisateurs
31:37lourds des urgences aux Etats-Unis
31:39où on découvrait que c'était des personnes sans domicile
31:41qui utilisaient, qui revenaient,
31:43qui faisaient des pathologies de plus en plus graves,
31:45qui n'arrivaient pas à prendre leurs médicaments,
31:47qui n'écoutaient pas exactement ce qu'on leur disait.
31:49Et en fait c'est de ces enquêtes-là
31:51qu'est née la première campagne de Housing First
31:53plutôt pour les personnes qui ont des problèmes psychiques, psychiatriques.
31:55On sait que ça marche.
31:57On sait que ça va épargner
31:59des passages infinis aux urgences,
32:01des dégradations de la santé
32:03parce qu'on va conduire une politique d'accompagnement.
32:05En Suède récemment, ils ont accueilli,
32:07c'était toute une population érythréenne,
32:09au pire moment,
32:11avec des enfants extrêmement traumatisés.
32:13Les enfants sont arrivés dans les classes,
32:15ils ont retourné les classes.
32:17Et en fait ils se sont confrontés à cette situation
32:19en Suède, en disant
32:21on va les faire parler, on va les faire travailler
32:23sur leur reviviscence, sur leur passé
32:25traumatique, pour qu'ils aillent mieux
32:27et qu'on puisse les intégrer.
32:29C'est ce que je voulais rejoindre parce qu'en fait,
32:31ce concept en Suède ou en Thaïlande, l'intérêt,
32:33surtout quand on a été longtemps à la rue
32:35comme moi ou comme ces jeunes femmes dans le film,
32:37c'est qu'après, on a beaucoup
32:39de mal à s'approprier un logement.
32:41Moi je l'ai vécu.
32:43Et il y a un accompagnement.
32:45Parce que pour les gens aussi, ça fait six mois qu'ils sont à la rue,
32:47on leur donne un logement.
32:49Très vite, ils redorment dans un lit.
32:51Mais quand vous avez été très longtemps à la rue,
32:53vous vous retrouvez entre quatre murs,
32:55et là c'est la panique à bord.
32:57On le sent à la fin du film d'ailleurs.
32:59Housing first, c'est potentiellement...
33:01En fait, on sait que ça marche très bien
33:03dans beaucoup de pays européens et aux Etats-Unis.
33:05Le problème, c'est que pour faire
33:07du logement d'abord, il faut d'abord du logement.
33:09Et aujourd'hui, il n'y a pas de logement.
33:11Il y a une dérégulation
33:13terrible du marché du logement.
33:15Je tiens vraiment à le dire,
33:17parce que je trouve ça complètement dingue
33:19la dérégulation des meublés,
33:21avec la question des meublés touristiques par exemple,
33:23et les prises de positions politiques
33:25qui ont commencé à se faire jour.
33:27Mais ça ne suffit pas,
33:29il faut aller beaucoup plus loin.
33:31Il faut aussi construire du logement social
33:33et du logement très social,
33:35et pas du logement intermédiaire
33:37comme soi-disant ce logement intermédiaire
33:39qui est destiné à des personnes
33:41qui vont payer un loyer bien trop élevé.
33:43Pour les personnes dont on est en train de parler.
33:45Un smicard, il ne peut pas aller dans les logements intermédiaires.
33:47C'est pour ça que la Finlande, c'est 49 euros.
33:49Est-ce que ça peut permettre à certains
33:51de sortir du logement social
33:53dans lequel ils se trouvent aussi ?
33:55Oui, et l'accès à la propriété
33:57devrait aussi être mieux encouragé
33:59parce que, comme vous le disiez très bien,
34:01il y a une embolie,
34:03et donc il faut absolument dégager par le haut
34:05si on peut dire,
34:07cette chaîne qui va de la rue
34:09en passant par l'hébergement et jusqu'au logement.
34:11Donc je pense que vraiment
34:13il faut avoir
34:15une volonté politique sur le logement.
34:17Il y a une association
34:19qui s'appelle Un Logement d'abord
34:21et qui permet d'accompagner.
34:23C'est en France, mais c'est
34:25une goutte d'eau par rapport au vrai sujet.
34:27Mais cela dit, ça peut
34:29effectivement se développer parce que
34:31c'est une vraie solution.
34:33On voit bien que la vraie solution, c'est le logement.
34:35Housing first, en tout cas, c'est l'exemple finlandais.
34:37Peut-être que c'est ça l'avenir en France.
34:39Merci, merci beaucoup à toutes les quatre
34:41d'avoir participé à cet échange en plateau.
34:43Merci à vous deux de nous avoir suivis comme chaque semaine.
34:45Émissions, débats, documentaires,
34:47tout cela est à retrouver sur notre plateforme
34:49publicsena.fr. À très vite sur Public Sénat.
34:51Merci.
34:53Musique
34:55...