”On est plus dans l’aventure, on est plus dans l’exploit, on est dans le tourisme organisé“

  • il y a 2 semaines
François Carrel, alpiniste, revient sur la tendance montante de gravir la plus haute chaîne montagneuse du monde : L’Himalaya

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00:00On n'a pas fini d'entendre parler de l'Evas Dinox parce qu'il va y avoir des répercussions et des conséquences pendant des années et des années.
00:07Je m'appelle François Carel, je suis journaliste alpiniste. J'ai consacré un livre à
00:12l'incroyable développement du tourisme de très haute altitude en Himalaya qui est inédit dans l'histoire de ces grandes montagnes.
00:18La fascination pour ces sommets là, elle est super ancienne. Elle date de la perte de la conquête dans les années 1950, 1960, 1970.
00:25Et puis il y a eu la déflagration Nims Day qui a explosé le record de vitesse sur les 14 sommets de plus de 8000 mètres.
00:32Le record c'était 7 ans, il a fait ça en 6 mois.
00:36Énorme choc, série sur Netflix, on s'est mis à beaucoup parler de ça.
00:39Et puis derrière, on a vu aussi les files d'attente au sommet de l'Everest se multiplier.
00:45Pour aller sur ces sommets de 8000 mètres, pendant longtemps, ça a été considéré comme le top du top.
00:49Il fallait des décennies d'expérience.
00:51Aujourd'hui, parce que les Népalais sont super organisés, parce qu'il y a des moyens logistiques lourds,
00:57c'est devenu effectivement quelque chose qu'on peut faire en étant simplement
01:01sportif, motivé. Et si on a un bon portefeuille bien garni, il n'y a pas de souci.
01:06Il faut à peu près 40-50 000 euros pour s'offrir ça.
01:09Ça, ça permet d'avoir l'accompagnement par un Sherpa.
01:13Les Sherpas sont ces Népalais qui vivent dans ces zones là, qui vont vous accompagner jusqu'au sommet.
01:19Ça permet d'avoir quelques bouteilles d'oxygène, toute la logistique sur la montagne.
01:23Inox, pour son ascension 2024, il est dans un volume d'accompagnement et de logistique,
01:30on va dire légèrement au-dessus de la moyenne, et ils ont trois Sherpas pour lui et son guide.
01:35Il a utilisé l'hélicoptère à peu près comme tout le monde.
01:37Il a des bouteilles d'oxygène un peu classiques.
01:40Il a cinq ou six bouteilles d'oxygène, donc il n'est pas dans une démesure de moyens.
01:44Les Népalais sont capables de faire beaucoup, beaucoup plus.
01:47Il y a eu le prince de Baragne il y a quelques années,
01:50s'est offert une expé avec, ils étaient une quinzaine, il y avait 160 Sherpas.
01:55Le budget était, je crois, 200 000 dollars par tête de pipe.
02:00À partir du moment où on a ce rêve-là, s'offrir le sommet de l'Everest,
02:05on met l'argent sur la table, on s'entraîne un peu quand même parce que c'est dur.
02:08C'est quand même physique, même s'il y a l'oxygène en bouteille
02:11qui permet de réduire totalement la difficulté.
02:13Et puis, tout l'ensemble de la logistique mise en place par les Népalais
02:17pour vous permettre d'atteindre le sommet, il faut quand même avoir un petit peu la forme.
02:22C'était le cas d'Innoxtag, 22 ans, pleine possession de ses moyens.
02:26C'est un gars solide.
02:27Il était parfaitement encadré, parfaitement entraîné.
02:30Le développement vraiment accéléré de ce tourisme ces dernières années,
02:35déjà, il a un côté positif.
02:38C'est que, enfin, les Népalais ont pris le business à leur compte.
02:42Pendant longtemps, ils ont été que les porteurs.
02:44Et c'était les Occidentaux qui retiraient la majorité des bénéfices.
02:47Donc, ça fait des richesses pour le Népal.
02:49Néanmoins, ces pics de surfréquentation,
02:52ils génèrent des problèmes de sécurité.
02:54Et par ailleurs, on a évidemment des problèmes environnementaux.
02:57Donc, je ne vous parle pas du bilan carbone.
03:01Les gens qui viennent du monde entier pour venir à Katmandou, ça, c'est une chose.
03:05Depuis Katmandou, depuis la capitale du Népal,
03:08ils vont voler en hélicoptère jusqu'à l'entrée de la vallée.
03:11Au camp de base de l'Everest, on a un énorme village installé
03:15avec plein de gens qui travaillent, les groupes électrogènes à gogo,
03:18de l'hélicoptère qui ravitaille en produits frais,
03:20des petits hélico-taxis qui ramènent les uns et les autres
03:23quand ils ont envie d'aller se délasser à Katmandou.
03:26Donc, on a quand même un problème majeur d'hélicoptère.
03:29On est dans un parc national, quand même, à l'Everest.
03:32Visiblement, la réglementation ne s'inquiète personne.
03:35On a des hélicos dans tous les sens et de plus en plus.
03:37Après, il y a des questions de déchets.
03:39Nous, les Occidentaux, on vient se faire plaisir
03:42dans ces massifs-là, sur ces montagnes-là,
03:44et derrière nous, on laisse des tas de déchets.
03:47Concrètement, plus on met de monde et plus on a de déchets
03:50abandonnés en altitude, à très haute altitude,
03:53y compris les excréments, y compris les restes de camps
03:56qui sont abandonnés parce qu'il y a tellement d'argent
03:59qu'on ne va pas s'embêter à démonter des tentes, à les redescendre.
04:01Pour l'instant, la limitation du nombre de permis n'existe pas.
04:05Donc, on peut imaginer effectivement qu'on puisse continuer à avoir
04:08une augmentation du nombre de personnes qui viennent de l'étranger
04:12pour faire ces sommets.
04:13Après, il va y avoir un problème de limite de compétences.
04:15La machine industrielle touristique népalaise, elle est costaude,
04:19mais elle ne peut pas non plus absorber des milliers de personnes.
04:22Donc, pour l'instant, ils absorbent
04:241 000, 1 500, peut-être, clients par an sur l'ensemble des 14 000.
04:29Mais pour aller au-delà, il faudrait encore qu'on passe un cran,
04:33c'est-à-dire encore plus d'hélicos, encore plus de cordes,
04:35encore plus de déchets et encore plus de nuisances dans les vallées.
04:39Ça va être compliqué.
04:41À force de mettre autant de monde et d'envoyer autant de monde
04:43sur ces grands sommets, on va, un jour ou l'autre, avoir d'énormes pépins.
04:47Le jour du sommet d'Inox, il y a 200 personnes au sommet,
04:50il y a cinq, il y a une espèce de fil d'attente
04:53blindée juste sous le sommet.
04:54Une corniche s'effondre, cinq personnes tombent dans le vide.
04:57Il y en a deux qui ne sont pas retenues, qui meurent.
04:59Il n'y aurait pas dû avoir 50 personnes dessus à ce moment-là.
05:02Ces montagnes-là, ce n'est pas un endroit où il devrait y avoir une telle affluence.
05:06Et ce n'est pas de l'élitisme.
05:08Moi, je n'irai jamais là-haut. Je suis alpiniste.
05:10Je me régale sur des montagnes plus petites, dans les Alpes, sans guide,
05:13sans Sherpa, sans oxygène.
05:15On n'a pas besoin d'aller à l'Everest pour vivre des choses fortes en montagne.
05:19Alors, on le fait pour faire du grand spectacle.
05:21Et c'est ce qu'on va avoir dans les semaines qui arrivent.
05:24Et certains seront ravis d'avoir ce grand spectacle, mais qu'on ne se trompe pas.
05:29On n'est plus dans l'aventure, on n'est plus dans l'exploit.
05:32On est dans le tourisme organisé.
05:35On n'a pas fini d'entendre parler de l'Everest d'Inox,
05:37parce qu'il va y avoir des répercussions et des conséquences
05:40pendant des années et des années.
05:42Ce qui m'inquiète plus, c'est les effets sur le grand public
05:45de cette aventure très, très visuelle et très marketing que s'offre Inox.
05:52Est-ce qu'on va continuer à considérer que l'Everest
05:55et que les sommets de 8000 mètres, c'est le nec plus ultra de l'humanité ?
05:59Mais non, mais non.
06:01Donc voilà, on va voir ce qu'il fait dans son film.
06:03J'espère qu'il saura garder un petit peu de recul par rapport à ce qu'il a vécu,
06:08qu'on sortira de la glorification et de la mise en exergue
06:13des qualités surhumaines de ces gens qui vont au sommet de l'Everest.
06:17Non, non, non, ce n'est pas vrai.
06:19Ceux qui sont héroïques, ce sont ceux qui bossent autour.
06:21Et puis, les grands alpinistes qui vont faire des choses extrêmement techniques
06:25sur des sommets moins valorisés ou moins exposés médiatiquement.

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