Les politiques en vacances, la France en suspens
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00:00C'est 19h46, nous sommes toujours avec Nathan Devers, l'écrivain et philosophe, et Alexandre Malafaille, président du think-tank Synopia.
00:07On a eu un président de la République omniprésent pendant les premiers jours et avant l'ouverture des Jeux olympiques.
00:13Désormais, il est parti à Brégançon, la résidence des présidents de la République dans le Var.
00:19Il est parti quelques jours, lui qui avait décidé la trêve politique.
00:23Est-ce que la politique française est en villégiature aussi pendant cette période ?
00:26Parce qu'il y a pas mal de médailles qui sont décernées en ce moment, d'or, d'argent et de bronze.
00:31On pourrait en décerner quelques-unes de plomb aussi pour toute la classe politique française
00:35qui depuis quand même quelques semaines ne s'est pas grandi par le spectacle qu'elle a offert aux Français.
00:39Alors c'est vrai que cette pause fait du bien parce que c'était un petit peu compliqué.
00:43C'est la seule chose qu'on peut porter au crédit du président, c'est de ne pas avoir ajouté de la confusion politique
00:48avec un nouveau gouvernement, avec tous les problèmes sécuritaires et de continuité de l'action de l'État
00:52qui serait pu poser en période de haute tension et donc d'avoir différé, enjambé, si je puis dire, les JO.
00:57Alors on verra s'il enjambe les JO olympiques et les JO paralympiques.
01:00Ça, ça reste encore à sa main puisque le maître des horloges, de ce point de vue-là, il le reste.
01:03Donc c'est bien de faire un break.
01:05En revanche, je pense que dans les coulisses du pouvoir, il doit y avoir quelques discussions.
01:08On voit bien que certains s'agitent comme Madame Castex.
01:10Mais pour autant, on peut imaginer qu'entre la droite, le centre et peut-être un certain nombre d'élus socialistes
01:18qui ne sont pas unitaires dans leur approche par rapport à une possible coalition,
01:21ça doit discuter, ça doit, pardonnez-moi le néologisme, tractationner pour voir qui, pour faire quoi et comment
01:26parce que de toute façon, les échéances s'approchent.
01:27Donc de toute façon, il y a un arc.
01:29On voit bien Républicain qui va d'un centre de dirigeants de droite, comme Xavier Bertrand,
01:33à d'autres de gauche, sans doute comme Monsieur Guedj ou Bernard Cazeneuve
01:37et tout ça est sans doute conciliable sur une ligne d'action qui reste à définir.
01:40Mais ça, c'est tout ça, tout ça, on va dire, est logique, raisonnable
01:44et il n'est pas certain que dans le cerveau présidentiel,
01:46ces scénarios logiques et raisonnables soient ceux effectivement qui soient choisis.
01:49Nathan Devers, est-ce qu'on y verra plus clair après cette parenthèse ?
01:52Pas sûr, parce qu'en effet, la classe politique,
01:55est-ce qu'elle a montré un très très beau spectacle depuis la dissolution ?
01:58La dissolution a été un moment où les politiques se sont retrouvés confrontés vraiment à leur responsabilité.
02:05C'était la première fois dans l'histoire de France que le Rassemblement national
02:08était un moment donné concrètement aux portes du pouvoir
02:10et que les gens se disaient dans dix jours, ils seront à Matignon.
02:12Et que voyons-nous depuis cette dissolution ?
02:16Je parle aussi bien de la campagne pour les élections,
02:19enfin pas tellement la campagne, mais surtout depuis le deuxième tour de l'élection législative,
02:23nous voyons une classe politique qui ne nous parle que de ses postes,
02:28que de ses petites histoires politiciennes, que de ses petits arrangements partisans
02:32et qui est incapable de faire de la corrente, de la belle, de la noble politique,
02:35c'est-à-dire de la politique sur des idées.
02:37Et je trouve qu'il y a une telle indécence à nous avoir imposé un peu avant les Jeux Olympiques,
02:42toutes ces intrigues pour faire élire les caisseurs, les vice-présidents,
02:45c'est-à-dire des titres purement honorifiques qui n'ont aucune importance politique
02:49à part de rapporter des chauffeurs, des hôtels particuliers, etc.
02:52et de l'avoir fait avec un tel esprit de sérieux, avec une telle forme,
02:55j'avais employé le mot même de pornographique là-dedans, si vous voulez,
02:59une telle ostentation de médiocrité,
03:01dans un moment où la France est un peu au bord du gouffre,
03:04à travers la dette qui explose, à travers le vote du budget qui va être extrêmement compliqué,
03:08à travers la montée du Rassemblement national et de l'extrême droite plus généralement,
03:12une classe politique qui n'est pas à la hauteur.
03:14Alors en effet, il me semble que cette trêve olympique,
03:17même si c'est une fausse trêve parce qu'en effet il doit se passer toutes sortes de tractations en coulisses,
03:21elle a au moins cet aspect vertueux
03:23qui est de nous faire oublier le mauvais niveau de la classe politique.
03:28Il y en a une qui ne veut pas se faire oublier, vous l'avez dit, Lucie Casté,
03:30qui pendant que la France avait les yeux rivés sur les premières épreuves des JO,
03:34et bien samedi elle était à Lille, dans un quartier populaire,
03:38mercredi elle va aller dans le centre, en déplacement sur le travail et l'industrie.
03:43Elle est en position d'essayer de faire le rapport de force avec Emmanuel Macron,
03:48comme si elle était incontournable ?
03:50En fait, je pense que ce qu'elle joue, c'est la stratégie de l'existence.
03:53Comme elle était totalement inconnue du bataillon, du public,
03:58il lui faut trouver le moyen de faire parler d'elle le plus longtemps possible
04:01pour essayer en tout cas, une fois que son nom ne sera pas celui qu'ira à Matignon,
04:06de continuer à avoir un peu d'existence politique.
04:08Parce que c'est vrai que c'est une séquence qui est très courte,
04:10en plus elle est en plein été, c'est difficile pour elle de se faire entendre.
04:14Mais après, voilà, c'est le projet du Nouveau Front Populaire,
04:18et cette espèce de victoire comme étant autoproclamée,
04:22en disant on a gagné donc on est légitime, donc c'est nous,
04:25ça, il n'y a qu'eux qui y croient.
04:26Et encore, je ne pense pas qu'à l'intérieur même de cet appareil composite,
04:29il y ait effectivement cet alignement des consciences.
04:32Il joue la partie, parce qu'évidemment,
04:34le problème c'est d'avoir embarqué tout un électorat sur un programme politique
04:38qui n'était pas fait pour gouverner,
04:40et se retrouver en situation finalement de devoir trahir
04:43ce qui a été proposé, promis aux électeurs,
04:45et allant de gens incroyablement peu conciliables,
04:48c'est-à-dire d'aller de François Hollande à Raphaël Arnault,
04:50qui ont entre guillemets pactisé pour finalement dire
04:53voilà on a un programme, on est d'accord là-dessus.
04:55Sauf qu'ils ne pensaient jamais que le tiercé des élections législatives
04:58serait effectivement celui qu'on a eu, c'est-à-dire 1.
05:01Le Nouveau Front Populaire, 2.
05:03La Macronie au sens large du terme, et 3.
05:05Donc ça, ça les met dans une position très embarrassante,
05:08et donc à partir de là, ils retardent l'échéance.
05:11L'idéal pour eux, c'est surtout que personne ne nomme quelqu'un de chez eux,
05:15parce que la mise en oeuvre sera catastrophique,
05:17et une fois que cette mise en oeuvre sera assurée par quelqu'un d'autre,
05:20avec une autre formation politique qui aura Matignon,
05:22et puis une coalition qui sera ce qu'elle sera,
05:24le Nouveau Front Populaire pourra éclater tranquillement,
05:26sans que les électeurs soient trahis.
05:28Effectivement, des résultats qui en ont surpris plus d'un.
05:30Ces déplacements de la candidate du Nouveau Front Populaire
05:34pour Matignon, Lucie Castez,
05:36c'est une campagne pour la rendre première ministrable ?
05:39Oui, le Nouveau Front Populaire n'existe plus.
05:42Il n'existe pas.
05:43C'était une alliance pour se faire élire,
05:45à partir de maintenant, il n'existe pas pour une raison très simple.
05:47C'est qu'aucune force politique aujourd'hui
05:50n'a le moyen de mettre en oeuvre son programme.
05:53Donc, à supposer qu'il y ait demain la formation d'un gouvernement
05:57avec par exemple des ministres insoumis,
05:59eh bien, non seulement ils ne pourraient pas appliquer
06:01le programme du Nouveau Front Populaire,
06:03il y aurait immédiatement une motion de censure.
06:05Et puis, deuxièmement, s'il y avait des ministres insoumis,
06:08un certain nombre de bacchronistes et de gens du RN
06:10ont fait savoir qu'ils voteraient ensemble une motion de censure,
06:12donc le gouvernement s'écroulerait immédiatement.
06:14Donc, c'est pour ça que je parlais d'une forme d'indécence
06:17chez la classe politique, avec à la fois une forme de déni de réel,
06:20donner l'impression qu'ils vont pouvoir faire
06:23comme s'ils pouvaient former un gouvernement
06:25comme on en a l'habitude dans l'histoire de la Ve,
06:27alors que ce n'est pas le cas.
06:28Et en plus, cette sorte de mesquinerie, de médiocrité,
06:32c'est de ne nous parler que de leurs histoires de postes.
06:34La question de savoir qui sera à Matignon est absolument anecdotique.
06:37Ce qui compte dans un pays, c'est la question de savoir
06:39qui va mettre en oeuvre, enfin pas qui,
06:41mais quelle politique va-t-on mettre en oeuvre ?
06:43Ça, c'est la première chose.
06:44Et la deuxième chose aussi,
06:46à faire remarquer, qui à mon avis est importante,
06:49c'est que nous sommes revenus à une situation
06:52qu'on ne connaît pas depuis très très longtemps,
06:55qui est celle de facto d'un régime parlementaire.
06:58Dans un régime parlementaire,
07:00il n'y a pas nécessairement la force politique qui a fait le plus de voix
07:03sur le podium, qui a la médaille d'or sur le podium,
07:05qui est capable de former un gouvernement.
07:07Tous les régimes parlementaires du monde,
07:09très souvent à la suite d'une élection,
07:10vous avez une force politique qui arrive en tête
07:12et finalement elle n'a pas la capacité
07:14de former cette coalition.
07:15Et c'est pour ça d'ailleurs que ça met du temps,
07:17que ça peut mettre un mois, deux mois, trois mois,
07:19qu'il y ait des gouvernements qui peuvent s'effondrer,
07:21être renversés, etc.
07:22Donc nous sommes dans une autre logique
07:24et ça demanderait que la classe politique
07:26sorte précisément de l'état d'esprit,
07:28de la mentalité dans laquelle elle est,
07:30depuis 1958.
07:31Mais j'observe très très peu de gens
07:33être à la hauteur.
07:35Remarquez peut-être,
07:36quelqu'un comme Marine Tondelier
07:37a fait savoir, François Ruffin aussi,
07:39qu'ils étaient écœurés par la situation.
07:41Et quand ils ont dit cela,
07:42je pense qu'ils visaient précisément
07:44à nommer le décalage
07:46entre la réalité dans laquelle nous sommes
07:48tous plongés
07:49et le comportement de déni
07:51mesquin de la classe politique.
07:53Mais est-ce que ça voudrait dire alors
07:55que l'hypothèse,
07:56on sait qu'Emmanuel Macron
07:57fonctionne beaucoup par séquence,
07:58qu'après cette séquence-là,
07:59l'hypothèse qu'Emmanuel Macron
08:01nomme un premier ministre de son camp
08:02tient encore la route ?
08:03Ça paraît quand même très difficile.
08:05Là, je crois que la symbolique
08:07serait vraiment mal perçue
08:09par tous les Français,
08:10y compris même ceux de son camp.
08:11Parce que, très sincèrement,
08:13quand vous prenez une première défaite
08:16avec les européennes,
08:17une deuxième avec le premier tour d'élections,
08:19une troisième avec le deuxième tour,
08:21même si finalement vous avez réussi
08:22à sauver les meubles
08:23grâce à cette alliance...
08:25S'il parvient à faire une coalition.
08:27Du front républicain anti-IRN.
08:29Très sincèrement,
08:30vous avez, en plus,
08:31si on a un peu de mémoire,
08:32raté votre séquence
08:34avec les législatives en 2022
08:35puisque la majorité absolue
08:36ne vous a pas été accordée.
08:37C'est compliqué d'aller piocher
08:39dans votre propre vivier
08:40quelqu'un pour dire finalement
08:42on va quand même continuer
08:43à faire comme avant
08:44et on va se débrouiller.
08:45Donc à mon avis, non.
08:46Qu'ils soient partie prenante
08:47du prochain gouvernement
08:48parce qu'ils ont une masse suffisante
08:49pour l'être, bien sûr,
08:50d'autant plus que, rappelons,
08:52ils ont récupéré quand même
08:54la présidence de l'Assemblée nationale.
08:55Donc en fait, pour l'instant,
08:56quand on regarde la photo
08:57deux mois après le premier tour
08:59des européennes,
09:03rien n'a changé.
09:04A l'Assemblée, rien n'a changé.
09:05A Matignon, rien n'a changé.
09:06Donc ça, les Français
09:08ne peuvent pas se satisfaire
09:09de ça très longtemps.
09:10Donc il faut qu'il y ait
09:11un peu de changement quand même.
09:12Sinon, pour le coup,
09:13ça va alimenter effectivement
09:14la machine à colère
09:15qui est déjà quand même...
09:16Bon, pour l'instant,
09:17c'est l'été,
09:18elle s'est calmée.
09:19Mais qui va très rapidement
09:20revenir et s'alimenter
09:21à la rentrée très fort.
09:22En 2022, pourtant,
09:23le camp présidentiel
09:24n'avait pas la majorité absolue.
09:25Ça ne l'avait pas empêché
09:26de nommer Elisabeth Borne,
09:28enfin de prolonger exactement
09:29Elisabeth Borne à Matignon.
09:31Pourquoi cette fois-ci,
09:32Emmanuel Macron tient absolument
09:33à ce que le Premier ministre
09:34soit issu d'un camp
09:35qui est parvenu à avoir
09:36une majorité absolue
09:37à l'Assemblée nationale ?
09:38C'est ce qu'il a expliqué
09:39lors de sa seule interview
09:40depuis le second tour.
09:41Alors, je ne suis pas dans sa tête,
09:43mais je pense qu'en 2022,
09:44il y a eu une grande erreur,
09:45précisément,
09:46de la part du camp présidentiel.
09:48Ils ont été réélus
09:49grâce à un barrage républicain.
09:51D'ailleurs, Emmanuel Macron,
09:52toute sa vie politique
09:53n'aura été faite que
09:54grâce à des barrages républicains.
09:56Donc, à partir de là,
09:57c'était un vote par défaut.
09:58C'est toujours le cas,
09:59en deuxième tour,
10:00on vote, on choisit,
10:01on ne prend pas forcément
10:02le candidat qu'on aime le plus,
10:03on choisit celui
10:04qu'on déteste le moins.
10:05Mais enfin, là,
10:06c'était particulièrement le cas.
10:07Il y a eu énormément de Français
10:08qui ont voté pour Emmanuel Macron
10:10en se pinçant le nez,
10:11c'est-à-dire en estimant
10:12que son programme
10:13était catastrophique,
10:14qu'il ne s'y reconnaissait
10:15absolument pas,
10:16mais qu'il ne voulait pas
10:18Et à partir de là,
10:19Emmanuel Macron
10:20n'en a tenu aucun compte.
10:21D'ailleurs, dans l'histoire
10:22du barrage républicain,
10:23ni Jacques Chirac en 2002,
10:24ni Emmanuel Macron en 2017,
10:25ni Emmanuel Macron en 2022
10:27ne se sont dit
10:28« j'ai été élu sur des voies
10:29très très différentes,
10:30donc je dois faire
10:31un gouvernement d'ouverture,
10:32sortir un peu de ma logique ».
10:33Non !
10:34Ils ont mené une politique
10:35de ce qu'Alain Gérard Slama
10:36a appelé « d'extrême centre ».
10:37La réforme des retraites,
10:38c'était précisément cela.
10:39C'était « on a un modèle
10:40qui est extrêmement populaire,
10:41qui, s'il y avait eu
10:42un référendum,
10:43peut-être 20% des Français
10:44auraient accepté à peine
10:45de mener cette réforme,
10:46et pourtant, on le fait ».
10:47Et aujourd'hui,
10:48ils se retrouvent contraints,
10:49et c'est peut-être
10:50d'ailleurs une bonne chose,
10:51de ne pas faire l'erreur
10:52qu'ils ont faite en 2022
10:53et en 2017.
10:54Pour terminer,
10:55Alexandre Malafaille,
10:56est-ce qu'on aura le nom
10:57d'un Premier ministre,
10:58selon vous,
10:59à la mi-août ?
11:00J'y crois qu'à moitié.
11:01C'est ce que laisse entendre
11:02le chef de l'État.
11:03Mais est-ce que c'est
11:04le bon moment
11:05pour installer quelqu'un
11:06à Matignon ?
11:07En tout cas, mi-août, non.
11:08Peut-être vers la
11:09dernière semaine d'août,
11:10me paraît plus possible,
11:11plus vraisemblable,
11:12avec l'arrivée de la rentrée.
11:13Mais le 19 août,
11:14je trouve que c'est un peu tôt.
11:15Mais bon, je peux me tromper.
11:16Même chose,
11:17les échéances ne seront pas tenues,
11:18les échéances promises
11:19par le Président.
11:20Moi, je pense aussi
11:21que c'est sans doute
11:22un peu trop tôt
11:23et que tout dépend
11:24des tractations
11:25et qu'à mon avis,
11:26ces tractations
11:27ne pourront se faire
11:28que dans la lenteur.
11:29Cela dit,
11:30il y aurait une autre solution,
11:31ce serait de nommer
11:32un Premier ministre du NFP
11:33et de le voir s'écrouler
11:34avec une motion de censure.
11:36Merci Alexandre Malafaille,
11:37Président du Symptômes Synopiat.
11:38Merci Nathan Devers,
11:39philosophe et écrivain
11:40d'être venu dans Europe 1.