"La laïcité est un combat constant": l'interview en intégralité de Caroline Fourest
Caroline Fourest, directrice éditoriale du magazine "Franc Tireur", est l'invitée de BFMTV-RMC ce jeudi.
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00:00 [Générique]
00:10 Il est 8h32 sur RMC et BFM TV. Bonjour Caroline Fourest.
00:14 Merci d'être dans ce studio pour répondre à mes questions ce matin.
00:18 Vous êtes la directrice éditoriale du magazine Franc-Tireur.
00:20 Vous êtes une défenseur inlassable de la laïcité, de la liberté, en particulier celle des femmes,
00:26 dans un monde de haine où il faut, dites-vous, nous réapproprier à la fois nos corps et nos luttes.
00:32 Il y a dans ce contexte une laïcité qui, d'après le Premier ministre, n'a jamais été autant menacée.
00:40 C'est également le constat que vous faites.
00:42 L'offensive contre notamment la loi sur les signes religieux et l'école publique,
00:46 elle a été constante depuis maintenant presque 20 ans.
00:49 Mais je remarque aussi, pour donner un peu une lueur d'espoir,
00:52 qu'il y a aussi beaucoup plus de gens qui font bouclier et qui ont appris à reconnaître cette offensive et à s'y opposer.
00:59 Et de ce point de vue, les mots fermes et justes du gouvernement,
01:03 en l'occurrence du Premier ministre ces derniers jours,
01:06 cette prise de conscience est importante parce qu'elle rassure nos enseignants qui sont en première ligne,
01:11 mais bien sûr que dans leur classe, dans leur même salle de prof,
01:15 ils ont encore beaucoup de résistance, d'adversité, de la part des parents d'élèves, de la part parfois de collègues,
01:21 et que c'est un combat constant.
01:24 - Élèves, parents d'élèves, collègues, on va y revenir dans un instant, ça se manifeste comment ?
01:31 C'est-à-dire que lorsque l'on dit qu'il y a ces signalements, mais également ce qui n'est pas signalé,
01:37 comment ça se manifeste ?
01:39 Comment est-ce que la menace de la laïcité se manifeste au-delà évidemment des drames absolus,
01:43 comme les assassinats de Samuel Paty ou de Dominique Bernard ?
01:47 - C'est-à-dire que les enseignants savent qu'à tout moment, dans un désaccord avec un élève,
01:51 et en l'occurrence on l'a vu encore il y a quelques jours au lycée Maurice Ravel,
01:55 un proviseur qui demande à une élève d'enlever son voile comme la loi le demande,
01:59 elle s'y oppose et puis elle ment.
02:01 Elle invoque une brutalité, une gifle, ça part sur les réseaux sociaux,
02:05 or on sait que ce genre d'accusations sur les réseaux sociaux dans des périodes sensibles
02:09 peuvent donner lieu à des menaces et même à des exécutions très concrètes,
02:13 et Samuel Paty et Dominique Bernard l'ont payé de leur vie.
02:16 Donc heureusement que là la rumeur s'est arrêtée vite,
02:20 qu'on a tiré les leçons de Samuel Paty et de ce qui lui est arrivé,
02:24 mais il n'y a pas toujours assez de vigilance pour arrêter la rumeur à temps,
02:28 pour rassurer celui qui est victime de cette rumeur ou de cette calomnie à temps.
02:32 Là en l'occurrence on a quand même une députée de la France Insoumise
02:34 qui n'a pas pris le temps de vérifier la version de cet élève,
02:38 qui a mis en doute la version du proviseur dans les premiers jours,
02:40 Daniel Simonet, je trouve ça extrêmement grave.
02:42 Daniel Simonet qui a effectivement laissé planer le doute en disant
02:46 "s'il a fait acte de violence, alors c'est inadmissible
02:51 parce que la défense de la laïcité ne doit pas donner lieu à de la violence",
02:54 sous-entendant qu'en effet il l'a fait.
02:55 Voilà, mais les tweets avec des "si" dans ces contextes-là,
02:57 quand on sait ce que ça peut donner, et qu'on a payé pour savoir ce que ça donnait,
03:00 Elle a jeté le bus sur le feu pour vous.
03:02 Elle n'a pas fait preuve de responsabilité,
03:04 et même j'ai l'impression des fois que les gens meurent pour rien en réalité.
03:06 Si les politiques ne sont pas capables de tirer ces leçons et de faire preuve,
03:09 de se retenir, de faire un tweet, certainement qu'il leur apporte quelque chose,
03:13 puisque sinon ils ne le feraient pas,
03:14 mais au risque de mettre des vies en danger dans des établissements,
03:17 en fait je trouve ça assez incroyable.
03:19 Ça veut dire que remettre en cause la laïcité aujourd'hui, ça rapporte comme vous dites ?
03:23 Clairement, il y a des gens qui ont en tout cas...
03:25 Il n'y a rien fait d'isme pour ça ?
03:26 Là pour le coup, c'est là où on a perdu des gens pour faire bouclier.
03:29 Parce que je vous disais, la vigilance elle a progressé,
03:31 du point de vue des autorités publiques, du point de vue peut-être du ministère,
03:34 je l'espère des rectorats, mais on a des gens qui nous manquent.
03:37 On a des syndicats qui nous manquent.
03:39 Je le dis franchement, il y a des syndicats qui sont aujourd'hui très politisés,
03:41 peut-être proches de la France Insoumise ou pire du NPA,
03:44 parce que sur ces deux sujets, enfin sur les sujets de la laïcité de l'école,
03:47 ce sont des partis politiques qui aujourd'hui ne sont plus des renforts,
03:51 ne sont plus des boucliers, parfois même soufflent effectivement sur les braises.
03:54 Vous adressez à ce que la CGT, par exemple...
03:56 Soit plus aux côtés des enseignants.
03:58 Ne soit pas dans cette ambiguïté ?
04:00 Vous y voyez une forme d'ambiguïté ?
04:01 Je ne désigne pas une organisation syndicale en particulier,
04:03 je note juste que des professeurs disent de plus en plus
04:05 que dans la salle des profs, le pas de vague,
04:07 c'est quelque chose qui aussi les insécurise,
04:09 parce qu'ils ont l'impression qu'ils mettent leurs collègues en danger,
04:12 s'ils tiennent des propos clairs et nets sur la laïcité par exemple.
04:15 Donc les syndicats ont un rôle à jouer,
04:17 les partis politiques ont un rôle à jouer,
04:19 et de ce point de vue, oui, dans le bouclier,
04:22 hier, il y avait des... Jean-Luc Mélenchon faisait partie de ce bouclier laïc il y a quelques années.
04:26 Quand vous dites hier, c'est-à-dire il y a quelques années,
04:28 Jean-Luc Mélenchon faisait partie des laïcards,
04:30 de ceux qui remettaient en cause cet autoritarisme,
04:33 cette bigoterie même.
04:34 Qui défendait la loi sur les signes religieux clairement et nettement,
04:37 qui ne tenait pas des discours qui caressaient les islamistes dans le sens du poil,
04:40 pour être très honnête.
04:41 Or ces derniers jours,
04:43 pas ces derniers jours, ça fait des années qu'on voit cette dérive à l'œuvre,
04:46 clairement on a l'impression que les députés de la France Insoumise
04:49 ont décidé de flatter tout ce qui va,
04:52 tout ce qui souffle dans les voiles des intégristes religieux.
04:55 C'est assez affligeant.
04:57 Karine Fourest, vous parliez à l'instant du fait que
05:00 les professeurs désormais manifestent leur souffrance
05:04 face à des coups de boutoir sur la laïcité.
05:07 Les signalements, Gabriel Attal le dit hier,
05:10 à la fois il y a moins de signalements sur les questions de tenue religieuse,
05:14 il semble que l'interdiction par exemple du port de la Baïa
05:16 soit globalement plutôt bien respectée.
05:19 En revanche, il y a davantage de signalements
05:21 sur la contestation du contenu des enseignements.
05:24 Voilà la nouvelle manière de contester,
05:26 effectivement, la laïcité, c'est des cours d'histoire,
05:29 c'est des cours de français, c'est bien sûr, on s'en souvient,
05:31 cette professeure de français à Issou en lycée et en collège
05:36 qui s'était vue menacée de mort
05:38 parce qu'elle avait présenté à ses élèves un tableau,
05:41 un tableau du 17ème représentant des femmes nues.
05:43 Alors d'abord, il y a quand même quelque chose de rassurant,
05:45 c'est qu'encore une fois, souvenez-vous des débats qu'on a eus
05:47 avant d'interdire la Baïa, avant de clarifier la règle
05:50 et de dire "mais bien sûr que ça fait partie de l'application de la loi de mars 2004".
05:54 Tout le monde a dit "mais ça va, créez un incendie,
05:56 vous êtes fous, vous jouez avec le feu".
05:58 Pour le coup, non.
05:59 Une autorité simple, claire et nette marche.
06:02 La preuve, c'est que les signalements pour port de signes religieux ont décliné.
06:06 Et donc c'est bien la preuve qu'il fallait le faire.
06:08 En revanche, la contestation des contenus,
06:10 je pense que c'est un problème beaucoup plus global
06:12 même que la question de l'intégrisme religieux,
06:13 c'est que vous avez aujourd'hui des élèves
06:15 qui dans leur téléphone portable sont soumis à un certain nombre,
06:18 sont soumis à un flot d'informations et parfois de désinformations
06:22 qui leur donnent le sentiment d'être assez puissants
06:24 pour contester la transmission d'un savoir,
06:26 la transmission d'un esprit critique de la part d'un professeur.
06:29 Et ça, c'est un défi colossal pour l'école
06:32 qui demande là aussi de peut-être remettre une certaine verticalité,
06:35 de ressacraliser ce que c'est qu'un enseignant,
06:38 de respecter sa parole, de respecter son statut
06:41 et aussi de réfléchir à comment on transmet cet esprit critique.
06:44 On ne peut pas le faire comme avant.
06:46 Il faut que les professeurs deviennent des super-coachs d'esprit critique.
06:49 Il faut que la philosophie, par exemple, la dialectique,
06:51 soit beaucoup plus enseignée enticomplotisme.
06:53 Mais c'est très dur, parce que ce que vous dites,
06:55 c'est qu'au fond, ceux qui sont censés simplement transmettre un savoir
07:00 vont devoir en effet être multitasks.
07:03 Je voudrais citer ce matin les propos d'un professeur de français.
07:06 Il s'appelle Grégory Lefloque. Il a témoigné dans L'Obs.
07:09 J'ai plusieurs fois fait référence à son propos,
07:11 parce qu'il me paraît saisissant.
07:12 Ça fait 13 ans qu'il enseigne au collège et au lycée, donc le français.
07:15 Et il s'adresse, il écrit une lettre dans le journal L'Obs
07:18 à ses propres élèves. Il dit
07:20 « Parmi vous monte quelque chose qui m'inquiète et contre lequel je bute,
07:23 quelque chose de bruyant et qui hurle. Tout sera bientôt impossible. »
07:26 Je l'ai vu presque partout, dans tous les établissements où j'ai enseigné.
07:29 Une morale rabougrie et aveugle qui n'est ni de votre âge, ni de votre siècle.
07:34 Il parle d'élèves qui s'offusquent de voir des personnages de prostituées
07:37 chez Maupassant, Zola ou Hugo, et qui refusent donc de lire cette littérature.
07:41 Il parle d'un élève qui menace de dénoncer son professeur à son père,
07:45 parce qu'il lise en classe Roméo et Juliette,
07:48 et qu'il y a là deux amants qui s'embrassent.
07:51 Il parle d'un retour à l'ordre moral.
07:54 Il parle d'enfants qui refusent d'aller au musée,
07:56 qui refusent également d'aller à la piscine.
07:59 « Leur bigoterie est redoutable, dit-il, car elle n'est ni honteuse ni dissimulée.
08:03 Elles se revendiquent fièrement, bruyamment, se refusent de voir et de lire et bavardent.
08:07 Ils disent « Je suis pure », et vous, professeur, vous êtes corrompu. »
08:11 Que dire à ces professeurs ?
08:13 - Justement qu'ils vont devoir faire muter une génération
08:16 qui est de plus en plus identitaire vers une génération philosophique.
08:19 Et pour ça, ça demande de repenser quasiment leur rôle
08:22 et le contenu de ce qu'ils enseignent.
08:24 Parce qu'effectivement, dans la montée de l'intégrisme religieux,
08:27 ça n'est qu'un des visages de la montée de l'identitarisme
08:30 qui rend tout le monde idiot.
08:32 Parce que c'est tellement primaire en réalité comme réflexe.
08:35 C'est vraiment « je m'assemble avec celui qui me ressemble,
08:38 et je ne sais même plus discuter avec celui avec lequel j'ai des dissensus,
08:42 avec lequel j'ai des désaccords, parce qu'en fait je ne sais même plus argumenter. »
08:45 Quand on apprendra à la jeunesse à nouveau à argumenter sur les idées,
08:48 au lieu de juger sur les identités, ce qu'elle fait beaucoup aujourd'hui,
08:51 on pourra à nouveau avoir un dialogue et on sera moins polarisé.
08:54 Mais ce n'est pas que la jeunesse.
08:56 On est tous très polarisés, on est tous informés dans nos CEO
08:59 et par des biais de confirmation qui nous poussent à penser
09:02 avec des gens qui pensent comme nous-mêmes.
09:04 Et on a tous de plus en plus de mal à supporter l'arrogance
09:07 de celui qui ne pense pas comme nous,
09:09 parce que nous sommes tous devenus très arrogants.
09:11 Et donc ça, c'est un travail immense pour l'école.
09:13 - Et qui va traverser à la fois l'école, mais aussi toute la société.
09:15 Caroline Flores, je voudrais qu'on revienne sur ce qui s'est passé mardi
09:18 dans l'école Science Po, emblématique école parisienne de sciences politiques.
09:23 Un groupe d'étudiants pro-palestiniens a occupé un amphithéâtre,
09:26 l'amphithéâtre majeur de cette école,
09:28 qui a été rebaptisé pour l'occasion Amphithéâtre Gaza,
09:30 en empêchant une étudiante juive de rentrer.
09:33 Ne la laissez pas rentrer, c'est une sioniste.
09:35 Je voudrais qu'on écoute le récit, le témoignage de cette jeune femme.
09:38 Elle se fait appeler Rachel, mais ne veut pas donner son vrai nom,
09:40 et témoigne effectivement à visage couvert.
09:42 - Depuis quelques mois, quelques semaines,
09:45 il y a beaucoup de propos qui sont tenus,
09:48 qui ne relèvent pas du militantisme,
09:51 mais qui relèvent vraiment d'incitation à la haine.
09:53 On a dit sur moi, j'espère qu'elle se prendra des requêtes.
09:57 Ils ont dit, ça m'a choquée,
10:00 au vu de ce qui se passe, vous feriez mieux les sionistes de rester discrets.
10:04 Moi, l'année dernière, on a refusé de faire un travail avec moi,
10:08 parce qu'il y aurait, je cite, le facteur juif.
10:11 Ce sont des choses sur lesquelles on alerte depuis plus d'un an.
10:16 - Témoignages recueillis par nos confrères de France 5.
10:19 Comment vous réagissez à ça, Caroline Foresk ?
10:22 - Ce sont des témoignages qu'on entend beaucoup depuis le 7 octobre.
10:25 Le pire, c'est qu'ils n'ont pas attendu ces humiliations,
10:28 qui sont des humiliations racistes.
10:29 C'est de l'antisémitisme et c'est du racisme.
10:31 Mais ces vexations n'ont pas attendu la situation dramatique à Gaza d'aujourd'hui.
10:35 Dès le lendemain du 7 octobre, on a des étudiants juifs
10:38 qui se sont sentis en insécurité par des remarques
10:41 qui se félicitaient des pogroms qui venaient d'avoir lieu,
10:44 qui les jugeaient sur la base de leur identité,
10:46 qui leur prêtaient des propos politiques
10:48 ou des idées sur la base de leur seule identité.
10:50 C'est ça, le racisme, prêter des idées de groupe
10:53 à quelqu'un sur la base de son apparence ou de son origine.
10:56 Ce qui est flagrant, c'est de voir une génération
10:58 qui se veut très, très, très antiraciste,
11:00 mais qui est raciste en réalité,
11:02 parce qu'elle ne sait justement pas dissocier
11:05 une vision identitaire des choses d'une vision réellement antiraciste.
11:09 Donc en l'occurrence, chez beaucoup de jeunes
11:11 qui sont aujourd'hui facilement pro-palestiniens,
11:13 sans avoir forcément beaucoup réfléchi
11:16 à ce qui s'est passé le 7 octobre,
11:18 et à l'enchaînement des faits, le jour du massacre,
11:20 et des pogroms et des viols qui ont été commis en Israël,
11:23 ces jeunes-là vont considérer que, par exemple,
11:26 les Palestiniens sont plus victimes que les Israéliens du 7 octobre
11:30 parce que les Palestiniens sont déracisés à leurs yeux
11:32 et que les Juifs ne le sont pas.
11:34 Ce qui est bien la preuve qu'ils réfléchissent en fonction
11:36 d'une échelle assez primaire des identités,
11:39 au lieu de réfléchir en fonction des intentions racistes.
11:42 S'ils réfléchissaient en fonction des intentions racistes,
11:45 ils verraient qu'il y a du racisme à interdire
11:47 à une étudiante juive de rentrer dans un amphithéâtre
11:49 en lui prêtant des idées politiques.
11:51 Emmanuel Macron et Gabriel Attal ont pris
11:53 cette question très au sérieux.
11:55 Le poisson pourrit par la tête, voilà ce qu'a dit
11:57 Gabriel Attal à propos de Sciences Po,
11:59 dont il a demandé à ce qu'ils mettent fin aux dérives.
12:03 Ils estiment que c'est extrêmement sérieux.
12:05 Emmanuel Macron a parlé de ces faits comme des faits
12:07 inqualifiables, intolérables.
12:09 Et Gabriel Attal, en se rendant sur place,
12:11 a demandé à ce que l'école soit mise
12:14 sous une forme de tutelle de l'État.
12:17 Cette dérive dont ils parlent,
12:19 ils estiment qu'elle est beaucoup plus globale,
12:21 que ce n'est pas juste ce qu'il s'est passé là,
12:24 mais aussi une dérive de ce qu'on appelle le "wokisme".
12:26 J'ai toujours du mal avec l'usage de ce mot.
12:28 Je ne suis pas sûre qu'on sache vraiment ce que c'est.
12:30 Est-ce que vous pouvez d'abord nous en donner une définition ?
12:32 Je pense que le mot "wokisme" a l'avantage,
12:34 même s'il a été beaucoup récupéré,
12:36 beaucoup sali par l'extrême droite,
12:38 qui en fait aujourd'hui un maux-valise pour attaquer
12:40 et le féminisme et l'antiracisme et tout progressisme,
12:42 ce que je réfute évidemment.
12:44 Mais quand on est sincèrement féministe et antiraciste,
12:46 le mot "wokisme" vous permet justement
12:48 de tenir ces luttes à distance
12:50 de cette vision essentialisante,
12:52 primaire, puriste,
12:54 excluante et sectaire.
12:56 Le wokisme, c'est une vision identitaire
12:59 du féminisme et de l'antiracisme
13:01 qui les dévie vers une forme de sectarisme.
13:03 Il y a cette militante,
13:05 longtemps militante,
13:07 féministe, Judith Butler,
13:09 qui a déclaré il y a quelques jours
13:11 que les massacres du 7 octobre
13:13 étaient une forme de résistance
13:15 armée.
13:17 Est-ce que ce féminisme-là
13:19 est compatible avec
13:21 votre féminisme à vous,
13:23 Dorian Forrest ?
13:24 Non, il ne l'est plus.
13:25 Et Judith Butler a eu beau, d'ailleurs,
13:27 elle s'est expliquée et puis elle s'est encore enferrée.
13:29 En réalité, quand on est apôtre
13:31 de la non-violence comme elle,
13:33 quand on est l'une des prêtresses
13:35 de la déconstruction du féminin et du masculin,
13:37 de la fluidité des genres,
13:39 et que ces dernières années...
13:41 Elle a beaucoup déconstruit la question des genres.
13:43 Moi je l'ai lue à 20 ans,
13:45 Judith Butler.
13:47 Mais aujourd'hui, je note qu'elle passe plus de temps
13:49 à défendre le voile qui sert à séparer les sexes
13:51 et qui sert à recloisonner, au contraire,
13:53 la question des genres,
13:55 et à défendre le Hamas et le Hezbollah
13:57 et à défendre des pogroms et des viols,
13:59 qu'elle met en doute, dont elle attend l'épreuve,
14:01 ce qui est, à mes yeux, presque le plus grave dans son intervention.
14:03 Et elle présente ces viols comme une résistance armée.
14:07 Caroline Forrest, vous évoquiez tout à l'heure
14:09 l'évolution d'un Jean-Luc Mélenchon.
14:11 À propos de Sciences Po, il a parlé
14:13 d'un incident dérisoire,
14:15 ce qui s'était passé dans l'amphithéâtre
14:17 de Sciences Po avec cette exclusion
14:19 de l'étudiante juive.
14:21 À Sciences Po aussi, les indignations à géométrie variable sont écœurantes,
14:23 dit Jean-Luc Mélenchon.
14:25 Pourquoi un incident dérisoire devient-il
14:27 une affaire de cette ampleur médiatique nationale ?
14:29 Parce que ce n'est pas un incident isolé.
14:31 On a ce débat au sein de plusieurs Sciences Po,
14:33 mais au sein de plusieurs universités
14:35 depuis des années. On a des débordements,
14:37 de plus en plus d'actes d'intimidation
14:39 et de violence pour empêcher des gens
14:41 soit d'entrer dans des amphis,
14:43 soit d'intervenir. Et moi, je comprendrais
14:45 très bien qu'il y ait un peu de passion autour,
14:47 et c'est normal qu'il y ait de la passion autour de ce qui se passe
14:49 à Gaza, comme autour de ce qui s'est passé
14:51 en Amont le 7 octobre et qui l'a déclenché.
14:53 Que ça agite des étudiants, c'est normal.
14:55 Mais encore une fois, on est devant l'accumulation
14:57 de comportements sectaires,
14:59 excluants, intimidants,
15:01 parfois violents,
15:03 contre des gens en raison de leurs identités.
15:05 Et on sait aussi, et c'est peut-être ce qui explique l'émotion,
15:07 qu'aux États-Unis, à force
15:09 de ne pas prendre au sérieux ces incidents,
15:11 on s'est retrouvés avec des campus totalement
15:13 à la dérive, de la part non seulement
15:15 des étudiants mais des enseignants aussi,
15:17 qui suivent leurs étudiants dans cette dérive
15:19 et qui finissent par ne plus transmettre
15:21 la distinction, l'esprit critique, le discernement.
15:23 Et donc c'est aussi ça qu'on essaie d'arrêter.
15:25 À temps. - Le siège
15:27 du journal Libération a dû être
15:29 mis sous protection
15:31 policière. Coco, sa dessinatrice,
15:33 elle-même protégée,
15:35 rescapée de Charlie Hebdo
15:37 et désormais menacée de mort
15:39 après un dessin satirique
15:41 qu'elle a donc publié dans le
15:43 journal Libération, que l'on voit à l'antenne
15:45 sur BFM TV. C'est à propos du
15:47 Ramadan à Gaza, début d'un mois de jeûne.
15:49 Et il écrit, on y voit un garçon
15:51 qui tente de chasser des rats
15:53 à Gaza et
15:55 sa mère sans doute, qui lui dit
15:57 "non, non, pas avant le coucher du
15:59 soleil". Et c'est la menace,
16:01 la menace de mort à nouveau
16:03 brandie contre Coco.
16:05 - Oui et puis c'est une menace de mort
16:07 qui a été au fond une cible
16:09 qui lui est remise dans le dos, où
16:11 là aussi, en fait, ce qui me choque le plus,
16:13 qu'il y ait des fanatiques religieux, des abrutis,
16:15 des analphabètes du second degré
16:17 qui soient toujours incapables de lire un dessin satirique
16:19 parce qu'en l'occurrence, ce dessin est une merveille.
16:21 Ce dessin dénonce
16:23 la famine à Gaza. Et dans le même temps,
16:25 arrive à dire "c'est quand même dommage d'attendre
16:27 un mois religieux pour s'en inquiéter".
16:29 Ce qui est contre, c'est qu'il y ait une famine à Gaza
16:31 et c'est de ça dont on devrait s'émouvoir. Donc c'est un dessin
16:33 qui dénonce la famine à Gaza.
16:35 Que des abrutis, encore une fois,
16:37 ou des fanatiques ne soient pas capables de lire un dessin,
16:39 on en a l'habitude et malheureusement,
16:41 là aussi, ça revient à l'école d'essayer de
16:43 changer ça. Mais que des politiques
16:45 qui savent parfaitement que ce dessin
16:47 est absolument extraordinaire
16:49 et qu'il n'y a rien de haineux dans ce dessin,
16:51 bien au contraire. Là aussi,
16:53 de la France Insoumise est relayée
16:55 et incitée à faire croire
16:57 que Coco avait
16:59 de quelconque façon permis quelque chose.
17:01 On va préciser les choses puisque ce à quoi vous faites référence
17:03 c'est notamment les propos
17:05 sur Twitter de Sofia Chikirou,
17:07 députée de la France Insoumise de Paris et proche de Jean-Luc Mélenchon,
17:09 qui écrit à propos du dessin
17:11 de Coco "Vous n'aurez pas notre haine
17:13 mais vous la méritez".
17:15 "Vous n'aurez pas notre haine", ça fait aussi référence
17:17 aux mots des proches des victimes du Bataclan.
17:19 - C'est un trait du Bataclan.
17:21 - Donc rien là n'est laissé au hasard ?
17:23 - Non mais surtout,
17:25 en 540 signes, il y a tout.
17:27 C'est-à-dire que "Vous n'aurez pas notre haine",
17:29 je me lave les mains de mettre une cible dans le dos de cette dessinatrice
17:31 en période de Ramadan, dont on sait très bien
17:33 qu'il y a une période sensible pour les attentats
17:35 qui l'amènent en danger.
17:37 - C'est ce qu'elle dit, c'est ça l'intérieur.
17:39 - Et en rajoutant "Je m'en lave les mains,
17:41 vous la méritez quand même"
17:43 et finalement j'ai rien fait, non.
17:45 Et c'est de la part de quelqu'un qui sait parfaitement
17:47 ce qu'elle sait, parce que Sofia Gekiro n'est pas idiote.
17:49 Elle sait que ce dessin
17:51 n'est pas ce qu'elle dit et elle sème quand même
17:53 la haine tout en s'en lavant les mains.
17:55 Je trouve ça honnêtement, là aussi,
17:57 scandaleux. Si Samuel Paty et Dominique Bernard
17:59 sont morts pour rien, si les amis de Charlie
18:01 sont morts pour rien, ça commence à faire
18:03 vraiment beaucoup en fait.
18:05 Je demande à ce que chacun, au moins,
18:07 prenne le temps avant de faire un tweet,
18:09 même quand on fait de la politique,
18:11 la décence n'est pas interdite.
18:13 - Caroline Forest, il y a également
18:15 les mots de Sandrine Rousseau qui
18:17 vole étrangement au secours
18:19 de Coco en disant, elle commence par dire
18:21 "Précision utile, le dessin de Coco
18:23 est complètement déplacé compte tenu de la
18:25 situation génocidaire à Gaza,
18:27 le nombre d'enfants tués y est plus élevé
18:29 en 4 mois qu'en 4 ans de guerre
18:31 dans le monde, mais ce dessin ne mérite
18:33 pas de menace de mort."
18:35 - Bon, mais là Sandrine Rousseau n'a pas compris le dessin.
18:37 - Oui, c'est que là on a un souci, c'est pas simplement
18:39 parce qu'on peut pas renvoyer tous les politiques à l'école non plus.
18:41 C'est qu'à un moment donné, quand des gens font de la politique
18:43 ils sont censés réfléchir, ils sont censés
18:45 savoir lire un dessin de presse.
18:47 Si eux ne savent pas lire un dessin de presse
18:49 qui encore une fois ne se moque pas
18:51 de la famine à Gaza, c'est ça les codes de la presse
18:53 satirique, c'est essayer de faire
18:55 de l'ironie qui en fait vous révolte.
18:57 Et ce dessin sème une ironie
18:59 qui vous révolte sur ce qui se passe à Gaza.
19:01 Donc encore une fois, si déjà l'école doit
19:03 apprendre ce que c'est qu'un dessin de presse
19:05 et que les politiques ne savent même plus ce que c'est qu'un dessin de presse
19:07 vous voyez bien que l'abêtissement de notre société
19:09 ne nous prépare pas des jours très heureux.
19:11 - Caroline Forest, il y a aussi
19:13 un point sur lequel vous êtes une militante
19:15 éternelle, c'est la question des violences faites aux femmes.
19:17 En quelques semaines, il y a eu sur les rangs
19:19 de la gauche, Julien Bayou
19:21 qui a été accusé de violences psychologiques,
19:23 qui se met d'ailleurs
19:25 de lui-même en retrait de son parti et de son groupe
19:27 à l'Assemblée nationale. Il y a Ersilia Soudé, députée
19:29 de la France Insoumise, qui a porté plainte pour viol
19:31 contre son ex-compagnon, Damien Cassez,
19:33 lui-même militant de la France Insoumise, qui est suspendu
19:35 également par le parti. Il y a Gérard Miller, bien sûr,
19:37 trois accusations de viol, quinze
19:39 accusations d'agressions sexuelles, un comportement
19:41 de prédateur avec des femmes
19:43 extrêmement jeunes, il y a 41 femmes
19:45 qui témoignent en tout.
19:47 Est-ce parce que ces femmes-là
19:49 ont plus de sensibilité
19:51 et donc dénoncent davantage
19:53 ces femmes de gauche ou est-ce qu'il y a
19:55 un problème des hommes de gauche aujourd'hui avec
19:57 les femmes ? - Non, pour le coup,
19:59 je ne pense pas que ce soit des hommes de gauche.
20:01 Oui, je pense parce qu'il y a
20:03 aujourd'hui un débat sur MeToo où tout est
20:05 un peu confondu, y compris par des femmes de gauche
20:07 qui peuvent mettre sur le même plan
20:09 un désaccord conjugal,
20:11 peut-être un viol conjugal, je n'en sais rien. Là, pour le coup,
20:13 c'est un cas de parole contre parole sur lequel je ne peux
20:15 pas avoir d'opinion. - Dans une intimité totale, bien sûr.
20:17 - Mais parfois, on entend aussi
20:19 des gens aujourd'hui, au nom de MeToo, dénoncer
20:21 des actes qui relèvent peut-être
20:23 de la maladresse ou de la grossièreté
20:25 et qui peuvent tout à fait se gérer d'humain à humain.
20:27 Vouloir invoquer une protection
20:29 judiciaire pour ça, ça va faire quand même
20:31 beaucoup de travail pour la justice. - Vous remettez en cause
20:33 la parole de ces femmes ? - Non, pas du tout.
20:35 Je ne remets pas en cause, je dis juste que moi, comme journaliste,
20:37 je suis féministe, mais je suis aussi journaliste.
20:39 - Et vous les distinguez ? - Et moi, mon
20:41 souci, c'est de ne jamais tout mettre sur le même plan.
20:43 J'ai un énorme problème à ce que,
20:45 sous l'étiquette MeToo aujourd'hui, on mette sur le même plan
20:47 des actes comme ceux qui se reprochent
20:49 à Julien Bayoud, dont pour l'instant,
20:51 je n'ai toujours pas réussi à comprendre exactement
20:53 quelle était la nature délictuelle,
20:55 avec des comportements
20:57 comme ceux de Gérard Miller. Vous voyez,
20:59 ils sont de la nuppesse tous les deux, mais moi,
21:01 je ne juge pas les gens en fonction de leur étiquette politique,
21:03 j'essaie de juger les actes. Quand il y a
21:05 60 femmes ou 67, je ne sais plus
21:07 à combien on est sur Gérard Miller, qui dénoncent
21:09 un comportement problématique,
21:11 il y a quand même beaucoup plus de chances qu'il y ait
21:13 une vraie part de vrais... - De prédateurs
21:15 et de logique de prédateurs.
21:17 - Et de système de prédation. Mais je note aussi
21:19 que par contre, il y a aujourd'hui au sein du féminisme
21:21 une indignation à ce géométrie variable,
21:23 c'est-à-dire que moi, je pense qu'il faut être précis sur
21:25 ce qui fait reprocher, ne pas juger en fonction des étiquettes,
21:27 mais juger en fonction des faits. Mais je note
21:29 que quand n'importe qui dans le cinéma
21:31 dénonce n'importe quoi,
21:33 ça fait immédiatement... ça intéresse tout le monde.
21:35 Quand trois des victimes de Tariq Ramadan
21:37 ne vont peut-être pas avoir droit à un procès
21:39 parce qu'un magistrat du parquet général,
21:41 après un dossier pourtant épais
21:43 comme ça, d'instruction,
21:45 décide qu'une seule sur quatre
21:47 pourra aller en justice... - Vous estimez là...
21:49 - J'estime qu'elles sont très seules, elles vivent l'enfer.
21:51 Elles ne sont pas aidées comme on peut l'être dans le cinéma.
21:53 - Caroline Faurès, beaucoup encore à dire.
21:55 Directrice éditoriale du magazine
21:57 Franc-Tireur, 8h54 sur AMC BFM TV.