Les années de plomb, une mine d’or pour la fiction
L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 22 Septembre 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr
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00:00 * Extrait de « Les Matins de France Culture » de Guillaume Erner *
00:06 C'était pratiquement il y a 44 ans, jour pour jour, le 27 septembre 1979.
00:13 L'extrême-gauche française enterrait l'un de ses héros, Pierre Goldman, demi-frère
00:18 d'un autre Goldman, celui-ci est encore très connu, Jean-Jacques Goldman.
00:23 Écrivain et braqueur, Pierre Goldman a été assassiné à Paris en même temps qu'elle
00:27 lui disait adieu, écrit Benoît Hopkin dans Le Monde.
00:30 Une partie de la foule se séparait de ses idéaux.
00:34 Et 44 ans plus tard, donc, le procès Goldman.
00:37 C'est un très beau film que vous signez, Cédric Kahn.
00:41 Bonjour.
00:42 Bonjour.
00:43 Vous revenez sur ce personnage qualifié par Benoît Hopkin dans Le Monde de trouble
00:47 et charismatique.
00:48 J'aimerais tout d'abord que vous nous disiez quelques mots sur cet homme pour ceux qui
00:52 ignorent tout, de qui était Pierre Goldman pour les plus jeunes qui nous écoutent.
00:56 Disons, avant 68, c'était déjà un activiste de gauche dans les jeunesses communistes,
01:02 enfin tous les groupements étudiants d'extrême gauche.
01:04 Il ne participe pas tellement à 68.
01:06 Lui, son obsession, c'est de partir faire la guérilla en Amérique du Sud.
01:10 Il part au Venezuela, il revient.
01:12 Et là, disons que c'est le début de sa dérive, il braque, en fait.
01:15 Il devient plus voyou que révolutionnaire.
01:18 Et il est arrêté par la police dans les années 70 pour quatre braquages, dont un
01:25 qui a entraîné la mort de deux pharmaciennes.
01:27 Et c'est ce braquage, il reconnaît les trois autres.
01:30 Et c'est ce braquage là qu'il nie.
01:32 Il clame son innocence et qui va être l'objet de toute cette affaire.
01:35 Et finalement, toute cette médiatisation autour de lui est partie de ça.
01:41 Et après, effectivement, comme lui, il est extrêmement charismatique.
01:44 Il a emmené cette affaire beaucoup plus loin.
01:48 Mais voilà, pour les gens à l'époque, il était victime d'une erreur judiciaire.
01:51 Donc, on va dire quasiment l'ensemble de l'intelligentsia de gauche de l'époque a
01:56 pris fait et cause pour lui.
01:57 Et il est devenu une sorte de phénomène.
01:59 C'était un vrai symbole.
02:00 À son procès ont assisté un certain nombre de figures de la gauche de l'époque.
02:05 Régis Debray, Simone Signoret et notamment beaucoup d'autres intellectuels.
02:11 C'est aussi un homme qui a écrit.
02:12 Il a écrit deux livres, dont l'un, Portrait obscur d'un juif polonais né en France,
02:18 a été un livre culte pour une partie de cette génération.
02:22 Cédric Kahn.
02:23 Oui, le mythe a commencé d'ailleurs à partir de ce livre.
02:25 En fait, ce livre a été salué d'abord comme une œuvre littéraire.
02:29 Il a écrit ce livre de sa prison.
02:31 En fait, il a été condamné en première instance, il faut préciser, à la réclusion
02:36 à perpétuité.
02:38 Et il a écrit ce livre qui était au départ un livre plaidoyer où il reprenait pied
02:43 à pied sa défense pour expliquer à quel point il avait été victime d'une erreur
02:46 judiciaire.
02:47 Et dans la deuxième partie du livre, il raconte son histoire, il convoque l'histoire de
02:51 ses parents et aussi la Shoah, toute l'histoire des juifs pendant la guerre.
02:56 Et ce livre est une sorte de phénomène.
02:59 C'est un immense succès.
03:00 Et dans l'engouement du livre, effectivement, il y a tout un tas de gens qui le défendent
03:09 pour le deuxième procès.
03:10 Vous, vous l'avez lu tard, ce livre ?
03:11 Je l'ai lu, ça dépend à l'échelle de ma vie, non ?
03:14 35 ans !
03:15 Je l'ai lu, en tout cas, je ne l'ai pas lu quand il est sorti.
03:20 J'étais trop petit.
03:21 Vous étiez trop petit.
03:22 Vous l'avez lu.
03:23 Il vous a marqué et vous avez décidé d'en faire un film.
03:27 Un film qui n'est pas un biopic, qui est un film qui évoque un pan très précis de
03:35 la vie de Goldman.
03:36 Son procès, son second procès, puisqu'il y a eu un premier procès, comme vous l'avez
03:40 rappelé, il y a eu cassation.
03:42 Puis ce second procès.
03:44 Vous n'aimez pas les biopics ?
03:45 Ce procès qui est un peu l'événement.
03:47 Puis en plus, c'est l'arrivée de Kierkegaard.
03:49 C'est un des premiers grands procès d'assist' de Kierkegaard.
03:52 Non, déjà, je n'aime pas tellement les biopics.
03:54 Et là, en l'occurrence, à propos de Goldman, je ne voyais pas tellement les éléments de
04:01 sa vie.
04:02 En fait, lui est un personnage très romanesque dans la façon de se mettre en scène.
04:06 Mais dans sa vie, il ne se passe pas grand-chose puisque c'est quand même une suite d'échecs.
04:10 Et par contre, ce que je trouvais incroyable chez lui, dès la lecture du livre, c'est
04:16 sa dialectique, c'est son esprit.
04:17 Et donc, je me suis dit, le procès, c'est le meilleur endroit.
04:19 Alors, effectivement, c'est un très beau film, un film de procès.
04:23 Comme on dit, on va revenir d'ailleurs sur cette notion de film de procès.
04:26 Un film où on voit un homme qui a une rhétorique bien particulière, qui est servi par Harry
04:34 Votter, qui est l'acteur qui incarne Goldman.
04:38 On écoute un extrait de votre film, Cédric Kahn.
04:41 J'ai décidé de ne faire citer aucun témoin pour ma défense parce que je considère mon
04:46 innocence totale dans l'affaire de la pharmacie du boulevard Richard Lenoir.
04:48 En conséquence de quoi, je me présente devant vous avec cette seule innocence et sans aucun
04:53 des moyens utilisés traditionnellement dans ce genre de procès qui en augmente la pompe,
04:57 l'aspect théâtral et toute chose qui me répugne.
04:59 Et par ailleurs, en ce qui concerne ma moralité, il n'est pas moins évident qu'au regard
05:13 de la loi et de la morale sociale, j'en suis quelque peu dépourvu puisque j'ai commis
05:17 trois vols à main armée.
05:18 Il serait donc vraiment dérisoire que telle ou telle personne, fût-elle prestigieuse
05:23 et hautement honorable, vienne déclarer à la cour que je serais un homme submergé de
05:27 qualité morale.
05:28 Je suis innocent parce que je suis innocent et non parce que diverses personnes viendraient
05:32 souligner tel trait de mon caractère ou de mon comportement.
05:35 Je souhaite que cette affaire soit jugée sur le fond et sur le fond seulement et j'entends
05:40 contribuer dans la mesure de mes possibilités à dépouiller ce procès de tout artifice
05:45 qui envoierait l'essentiel.
05:46 J'ai choisi cet extrait parce qu'il restitue bien Cédric Kahn toute la complexité du
05:52 personnage, ses contradictions, peut-être la première chose qui saute aux oreilles,
05:58 puisque c'était un extrait sonore de votre film, c'est le fait qu'il se présente
06:02 comme un innocent ontologique.
06:05 C'est ça en fait sa technique de défense qui est une technique de défense un peu inédite.
06:11 Au jour d'aujourd'hui, je n'ai encore pas bien compris ce que c'était qu'un
06:13 innocent ontologique.
06:14 C'est très mystérieux comme forme.
06:17 Il dit « je suis innocent parce que je suis innocent ».
06:18 Et en fait, on peut interpréter ça de multiples façons.
06:23 Mais ce qui est certain, c'est qu'il y a l'innocence qui est clamée.
06:28 Il y a aussi l'idéologie ou le verbiage en fonction de ce que l'on considère du
06:34 regard que l'on porte sur cette période-là.
06:36 Cette idéologie, ces phrases, comment les avez-vous restituées ? Pourquoi avoir voulu
06:42 les restituer dans le cadre de ce procès ?
06:44 Là par contre, ce qui est frappant, c'est qu'il dit « je veux qu'on ne s'intéresse
06:48 aux faits qu'aux faits et seulement aux faits et aucun folklore ».
06:52 Et en fait, c'est le contraire qu'il va faire pendant tout le procès puisqu'il
06:55 va détourner l'attention des faits en permanence, en politisant son procès, en
06:59 invectivant la police, les témoins, etc.
07:02 Donc déjà, il met en place.
07:04 Mais c'est ça qui est très intéressant chez lui.
07:06 C'est qu'il est extrêmement habile et en même temps, il a un art du contre-pied
07:10 permanent.
07:11 Et puis, il est là aussi pour clamer son innocence, pour essayer, comme vous le dites,
07:20 de politiser un procès avec un soutien.
07:23 Et on entend, la salle est extrêmement présente dans le film.
07:26 La salle joue un rôle extrêmement important, même s'il ne s'agit que de l'entendre
07:31 invectiver, de l'entendre clamer son soutien à Goldman.
07:35 Oui, je voulais restituer qu'il y avait un contexte, qu'il y avait une espèce
07:38 de ferveur autour du personnage et que cette ferveur avait créé un contexte pour le procès
07:43 qui forcément avait influencé les débats.
07:45 Et alors, pourquoi donc ce jeu avec la salle ?
07:49 Puisque c'est cela qui s'est passé réellement.
07:51 Il y avait un soutien de Goldman, une manière de se mobiliser pour lui.
07:57 Comment ça s'est déroulé à l'époque, Cédric Kahn ?
07:59 Je pense que les gens étaient convaincus qu'il était victime d'une erreur judiciaire.
08:03 C'était une sorte de "sacco evanzative" français.
08:05 Et voilà, on sait que chaque époque a besoin de s'emballer en fait.
08:10 C'est comme ça, c'est la nature humaine, on a besoin de s'emballer en fait.
08:14 Et donc je pense qu'il y a eu un emballement sur lui, notamment parce que son livre est
08:18 remarquablement bien écrit et très convaincant.
08:20 Et d'ailleurs, ce qui est étonnant, c'est que l'acteur, avec les mots de Goldman,
08:25 est devenu aussi convaincant que Goldman.
08:28 C'est-à-dire que pour mon public de mon procès, où il y avait beaucoup de jeunes
08:31 qui ne connaissaient pas l'histoire, ils étaient à nouveau totalement sous le charme du personnage.
08:35 Et alors c'est ça qui est compliqué, parce que la vraie question, alors pour ceux qui
08:38 connaissent l'histoire presque depuis son origine ou qui ont lu des choses là-dessus,
08:44 la vraie question qui se pose désormais a posteriori, c'est de savoir si Goldman était
08:50 ou non innocent de ces meurtres.
08:52 Je vous pose la question de Butant Roland, Cédric Kahn.
08:55 En vrai, je ne sais pas.
08:56 Il n'y a pas plus de vérité que d'autres, mais il y a beaucoup de nombre.
09:02 Enfin, tous les gens qui ont été proches de cette affaire disent que c'est encore
09:06 une question.
09:07 Alors Régis Debray, par exemple, qui au début avait fait partie de ceux qui l'ont soutenu
09:14 de manière importante, ensuite a prononcé des phrases sibyllines sur le fait qu'il
09:20 pourrait ne pas avoir été innocent de ces meurtres dont on l'a accusé.
09:25 C'est un destin tragique, quoi qu'il en soit.
09:27 Il faut dire que Goldman lui-même a laissé des signaux de culpabilité.
09:31 C'est lui qui a créé le tout.
09:33 Il a écrit un deuxième livre quand il est sorti de prison, qui est une fiction pure,
09:39 mais où il sous-entendait qu'il l'avait fait sous couvert de fiction.
09:42 Et puis même dans le procès, on voit qu'il a des phrases extrêmement troublantes.
09:46 Donc c'est lui qui crée ce climat.
09:50 Mais je pense qu'il avait envie de ça.
09:52 C'est un personnage très provocateur, très transgressif.
09:54 Et on voit que sa défense est extrêmement périlleuse.
09:59 Il est toujours sur un fil, prêt à basculer d'un côté ou de l'autre.
10:01 Et c'est ça qui fait qu'il est quand même assez fascinant.
10:03 C'est ce danger dans lequel il se met en permanence.
10:06 Justement, c'est là-dessus que je voulais vous entendre, puisque c'est aussi un personnage
10:11 fascinant parce que finalement, il est inclassable.
10:13 On ne sait pas si c'est un voyou, un raté, un génie.
10:15 Bref, comment le classer ?
10:17 Oui, et il assume beaucoup de choses.
10:18 C'est ça qui est étonnant.
10:19 Il dit "j'ai braqué parce que j'avais besoin d'argent pour me payer des prostituées
10:24 et des fringues parce que je n'aime pas laver les habits".
10:27 Enfin, voilà.
10:28 Et en plus, il a une façon de se mettre en scène qui est très drôle.
10:30 Donc, il embarque les gens avec lui.
10:33 C'est comme une rockstar.
10:34 En fait, il crée comme ça cette électricité qui fait que les gens ont envie d'être derrière lui.
10:38 Et d'ailleurs, souvent, ce que les gens disaient à l'époque et ce que les gens disaient
10:41 pendant le tournage du film, ils disaient "on ne sait pas s'il est coupable ou innocent,
10:45 mais on a envie qu'il soit innocent".
10:47 Et vous nous emmenez avec vous dans ce film, Cédric Kahn, Le Procès Goldman.
10:53 On se retrouve dans une vingtaine de minutes.
10:54 Vous serez rejoint par l'écrivain Dan Frank.
10:57 Il publie "L'Arrestation", c'est un récit sur la même période, la période de l'extrême gauche.
11:02 Mais là, il s'agit de son arrestation.
11:03 Il n'a jamais évoqué cela.
11:05 Il le fait dans ce livre.
11:06 On sera avec lui dans une vingtaine de minutes.
11:08 6h39, les matins de France Culture.
11:14 Guillaume Erner.
11:15 Et comme tous les vendredis, nous sommes avec le neurologue Lionel Nackage.
11:18 Bonjour Lionel.
11:19 Bonjour Guillaume.
11:20 Aujourd'hui, vous allez nous parler de la maladie d'Alzheimer.
11:23 En effet, cher Guillaume, car nous étions hier le 21 septembre, qui est la date précisément
11:27 de la journée mondiale de la maladie d'Alzheimer.
11:29 Alors, même si toutes ces journées mondiales exposent le risque de se dispenser de penser
11:33 à ce que chacune d'entre elles symbolise les 364 autres jours de l'année,
11:37 je relève le défi d'une chronique menacée d'évanescence programmée.
11:40 Bon, mais alors, par où commencer ?
11:41 Eh bien, par le rappel avant tout de notre ignorance.
11:44 En 2023, nous sommes en possession de nombreuses pièces du puzzle complexe de cette maladie
11:48 neurodégénérative, mais nous ignorons toujours le scénario causal du déclenchement de la maladie d'Alzheimer.
11:53 Alors, ces précieuses pièces proviennent de nombreuses disciplines, qui vont de la
11:56 biologie moléculaire à la neuropsychologie, en passant par la neuroimagerie, la neurophysiologie,
12:00 le métabolisme, la génétique et l'épidémiologie.
12:02 Mais le puzzle reste incomplet.
12:04 Autrement dit, n'oublions pas que nommer n'est pas connaître.
12:08 Cette connaissance fragmentaire suffit-elle pour imaginer de nouveaux traitements Lionel ?
12:12 Effectivement Guillaume, avec la latence nécessaire pour transformer une découverte en un traitement.
12:16 Ainsi, 20 ans auront été nécessaires entre la découverte du déficit en acetylcholine
12:21 dans le cerveau des malades, l'un des neurotransmetteurs clés de la cognition, et la mise au point
12:25 de traitement qui, en compensant partiellement ce déficit, ont une efficacité limitée et
12:29 transitoire, mais réelle, sur certains symptômes.
12:31 Et aujourd'hui, de nouvelles molécules visent à limiter l'agrégation de différentes
12:35 protéines dont l'accumulation provoque la mort neuronale.
12:38 Avec la possibilité inédite de ralentir, mais pas de stopper, l'évolution de la
12:42 maladie.
12:43 Donc nous vivons actuellement une période de transition pour les traitements, et plus
12:46 largement pour les soins.
12:47 Parce que les soins que nous sommes capables, ou pas, de concevoir pour les patients et
12:51 leurs proches, sont un miroir du degré d'humanité de notre société.
12:54 La recherche en soins concerne notamment la neuropsychologie et l'orthophonie, mais
12:58 elle mobilise également les sciences humaines.
12:59 Où comment s'efforcer à continuer de considérer la personne comme une personne, au-delà
13:04 des affres de la maladie qui désagrègent sa subjectivité ?
13:07 C'est pour moi en tant que neurologue une préoccupation permanente.
13:09 Pourquoi semble-t-il si difficile de traiter et de comprendre cette maladie ?
13:13 Le cerveau d'abord est sanctuarisé par une barrière qui le protège des infections
13:17 et de nombreux agents toxiques.
13:19 Mais le revers de cette protection anatomique est qu'il est très difficile de faire pénétrer
13:22 nombre de médicaments dans le cerveau.
13:24 D'autre part, la maladie d'Alzheimer est une maladie propre à l'espèce humaine.
13:28 On ne dispose pas de modèle animaux naturel de la maladie.
13:31 Difficulté supplémentaire pour la recherche.
13:33 Et à vrai dire, cette singularité est l'une des briques principales du puzzle.
13:37 La maladie d'Alzheimer ne vise pas les régions élémentaires du cortex.
13:40 Et c'est pourquoi les malades ne souffrent pas par exemple de paralysie ou de cécité.
13:43 Mais elle atteint les réseaux de neurones impliqués dans notre identité subjective.
13:47 La mémoire des épisodes de notre existence, l'orientation dans l'espace et le temps,
13:52 nos formes d'intelligence, le langage, l'introspection, la conscience de soi.
13:55 Et évidemment, comprendre tout cela a demandé d'innombrables travaux.
13:59 Juste un exemple. Il semble bien que la mémoire, ce que l'on appelle la mémoire,
14:03 davantage que la seule mémoire du passé, reflète en fait la capacité à pouvoir se projeter hors de l'instant présent.
14:09 Et c'est cela qui est compromis dans la maladie d'Alzheimer.
14:11 Par exemple, les malades éprouvent autant de difficultés à se projeter vers leur passé que vers leur avenir.
14:16 Et on a d'ailleurs décrit une diminution de l'effet placebo au fil de la maladie.
14:19 Aller mieux en croyant pouvoir aller mieux, requérir cette même capacité projective.
14:24 Et en pensant la maladie d'Alzheimer comme une maladie de la projection mentale,
14:26 on peut imaginer de nouvelles pistes thérapeutiques.
14:28 Serions-nous à mi-chemin Lionel Nackage dans la recherche sur la maladie d'Alzheimer ?
14:32 Alors le 21 septembre, date totalement fortuite de la journée de la maladie d'Alzheimer.
14:36 Et par ailleurs, en nous le savons tous, l'une des possibles dates de l'équinoxe de septembre,
14:40 journée où la nuit est aussi longue que le jour.
14:42 Si l'on associe la lumière à la connaissance et la nuit à l'obscurité de notre ignorance,
14:46 alors nous pouvons énoncer que nous sommes bel et bien en 2023 à l'équinoxe de la maladie d'Alzheimer,
14:50 ce mi-chemin que vous évoquiez Guillaume.
14:52 Et en jouant le fil de cette métaphore,
14:54 souhaitons être rapidement capables de déplacer la date de cette journée de l'équinoxe au solstice d'été.
14:58 Signe que nous aurons vraiment avancé.
15:00 Merci Lionel Nackage.
15:02 Et comme tous les vendredis, je crois que vous allez filer pour consulter à la selpétrière.
15:07 8h sur France Culture.
15:09 Cet homme s'appelait Pierre Goldman.
15:18 Pierre Goldman accusé de meurtre suite à des braquages.
15:22 Premier procès, cassation.
15:24 Second procès, le second procès de Pierre Goldman.
15:28 C'est le film, votre film, Cédric Kahn, le procès Goldman.
15:34 Il sera diffusé en salle mercredi prochain.
15:37 Et pour évoquer cette période, quatre années après la mort de Goldman en 1979,
15:46 c'est vous qui êtes arrêté, Dan Frank.
15:48 Bonjour. Bonjour.
15:49 C'est la première fois que vous vous exprimez là-dessus.
15:52 Vous avez été arrêté suite à une dénonciation anonyme en mars 1984,
15:58 dans le sillage de ce terrorisme d'extrême gauche.
16:02 On vous accusait de complicité avec l'Action Directe,
16:07 autrement dit avec cette association de terroristes d'extrême gauche.
16:12 Mais avant d'évoquer l'arrestation, l'ouvrage que vous publiez au sujet de cet épisode de votre existence,
16:19 vous parlez de Goldman dans ce livre.
16:22 Vous évoquez par exemple, avec les policiers qui vous interrogent,
16:27 le fait que vous avez collecté des fonds pour la veuve de Pierre Goldman.
16:32 On vous dit, il venait d'être assassiné.
16:35 Vous croyez à son innocence et vous répondez à l'époque, il a été acquitté, cela me suffit.
16:41 Qui était Pierre Goldman pour vous ?
16:43 Quel symbole représentait-il, Dan Frank ?
16:46 C'est un écrivain absolument extraordinaire qui a écrit ce livre merveilleux
16:49 qui s'appelle "Souvenirs obscurs d'un juif polonais né en France".
16:53 C'était une figure de l'extrême gauche, mais en même temps, pas seulement,
16:56 parce que, comme Cédric l'a raconté tout à l'heure,
17:00 il est parti en Amérique latine combattre là-bas.
17:03 Et quand il est revenu, il est devenu un braqueur.
17:05 Et en fait, moi, je ne le connaissais pas du tout, je ne l'ai jamais rencontré.
17:08 Et je ne connaissais même pas son histoire, jusqu'au moment où il y a eu ce procès incroyable,
17:15 où il a été acquitté au cours de son deuxième procès.
17:18 Et c'était une figure totalement... C'était un héros.
17:22 C'était un héros littéraire.
17:25 Un héros romantique ?
17:27 Un héros romantique, c'est un peu le mot de Baudelaire, l'ivresse littéraire.
17:31 On pouvait absolument accoler à cet homme qui avait une histoire magnifique
17:36 et qui reconnaissait être devenu un braqueur.
17:41 Et alors, dans votre film Cédric Kahn, il y a un face à face,
17:45 un face à face entre cet homme accusé, Pierre Goldman, et son avocat, Georges Kiezman.
17:51 Ils sont d'une origine commune, ils sont tous les deux juifs.
17:55 Goldman est plus jeune que Kiezman, puisque Goldman n'a pas connu la guerre.
18:00 Il est né en 1944 et ils ne sont pas du même côté de la bourgeoisie.
18:04 C'est-à-dire que Goldman accuse Kiezman d'être un juif de salon.
18:09 C'est d'ailleurs le début de votre film.
18:11 Pourquoi avoir décidé d'ouvrir ce film là-dessus ?
18:15 Parce que je crois que l'antagonisme entre Kiezman et Goldman
18:17 m'intéressait presque autant que l'affaire et le procès.
18:20 Pour moi, c'était vraiment deux façons d'être issu de cette même histoire.
18:25 Et d'ailleurs, Georges Kiezman est issu d'un milieu beaucoup plus modeste que Goldman, à l'origine.
18:30 Mais Kiezman, sortant de cette histoire, il a une immense ambition.
18:36 Il veut s'en sortir.
18:37 Et donc, je l'appellerais le juif positif.
18:41 Il a transformé cette histoire en force.
18:45 On pourrait dire de manière schématique que Kiezman a réussi.
18:49 Il s'est intégré dans une société où il va devenir ministre quelques années plus tard.
18:55 Tandis que Goldman est un peu un personnage de raté.
18:59 Oui, maudit, je dirais.
19:00 Parce que raté, c'est peut-être trop violent.
19:02 Mais il ne sort pas de la tragédie, Goldman.
19:05 Et d'ailleurs, il le dit lui-même.
19:07 Il veut rester dans la tragédie.
19:08 Et c'est ça qui en fait un héros, d'ailleurs.
19:10 C'est pour ça qu'il est un peu hors la vie.
19:14 Dan Frank ?
19:15 Oui, c'est un personnage absolument tragique.
19:18 Sa vie est une tragédie.
19:19 Sa naissance est une tragédie.
19:20 Il naît en 1944, séparant le Trimbal dans un landau où il y a des tracts anti-nazis.
19:26 Et puis, il meurt d'une manière tragique, assassiné.
19:30 1979 par qui ?
19:34 Par l'extrême droite.
19:35 Par un commando qui s'appelait Honneur de la police.
19:37 Et en fait, on a su après que c'était une déviance du SAC.
19:40 Les SAC, c'était des groupements parafascistes, paramilitaires presque, d'extrême droite.
19:48 Ça a été revendiqué, d'ailleurs.
19:50 Mais il est aussi séparé de sa mère à l'âge de 3 ans.
19:52 Mais on sent qu'il n'a pas lui non plus vraiment la volonté de sortir de ce destin tragique.
19:57 Oui, absolument.
19:58 On va écouter un autre extrait de votre film, Cédric Kahn.
20:01 Il s'agit d'un extrait de la plaidoirie de George Kiezman.
20:04 On écoute.
20:05 Un État de droit se doit de respecter ses propres principes, parmi lesquels il en est
20:08 un fondateur essentiel, la présomption d'innocence.
20:12 Mais j'ai voulu, moi aussi, comme chacun ici, comprendre pourquoi ce procès nous fascine
20:17 tant, pourquoi il est impossible d'en détourner les yeux.
20:19 Est-ce en raison de la personnalité exceptionnelle de l'accusé ?
20:22 En effet, il est assez tentant de voir en lui un héros à la Dostoïevski, disons.
20:28 Mais malheureusement, Pierre Goldman est le fruit d'une tragédie vraie, d'abord
20:32 et avant tout.
20:33 La tragédie du peuple juif d'Europe de l'Est.
20:36 Mesdames, Messieurs du jury, je ne vous dis pas que Pierre Goldman est un être exceptionnel,
20:41 mais que c'est un être exceptionnellement torturé.
20:43 Il appartient à cette communauté étroite, dont je fais également partie, les Juifs
20:47 polonais, qui sont intégrés à la société française, mais qui ont gardé de cette
20:50 origine le frémissement anxieux et les blessures profondes.
20:54 Je vous demande, si c'est possible, s'il vous plaît, d'oublier l'effet que sa personnalité
21:01 a pu avoir sur vous, de ne pas le juger sur son apparence.
21:04 Et je vous le dis du fond du cœur, on ne guérit jamais de son enfance.
21:09 Je vous adjure ce soir de mettre un terme à son cauchemar.
21:12 Cédric Can, un commentaire sur cet extrait de la plaidoirie de George Kegeman.
21:17 D'abord, c'est la vraie plaidoirie, on ne l'a pas réécrite.
21:20 Elle a marqué les esprits.
21:22 Les gens qui ont assisté au procès étaient très impressionnés par cette plaidoirie.
21:25 Et voilà, c'est le moment où les deux personnages se rejoignent.
21:30 Je ne sais pas si Kegeman comprenait intimement ce qu'était Goldman et qu'il arrivait
21:34 à le transmettre au juré.
21:36 Je pense qu'il y a d'autres moments clés dans le procès, mais c'est un des grands
21:40 moments du procès.
21:41 Ce sont aussi deux personnalités qui s'affrontent.
21:43 Il y a Goldman qui est très emphatique, qui a une prose presque empoulée avec beaucoup
21:53 de clins d'œil ou de références idéologiques.
21:55 Et Kegeman qui est très froid et très analytique.
21:57 Oui, puis Goldman est sûrement très jaloux du fait que Kegeman est en liberté et qu'il
22:03 réussit, que sa vie a l'air plus agréable que la sienne.
22:06 Et Goldman est assez visionnaire aussi.
22:09 C'est comme tous les gens un peu fous, ils voient ce que Kegeman va devenir.
22:13 Là, on n'est qu'au début de la grande carrière de Kegeman comme avocat, puis comme
22:17 homme politique.
22:18 Et effectivement, c'est vrai que cette sous-trame du film est très importante.
22:26 Tanne Franck, la liberté, on vous en a privé pendant 40 jours.
22:32 Vous avez été emprisonnée suite à une dénonciation anonyme, car les policiers sont
22:40 venus vous chercher dans le cadre d'une enquête sur la fusillade qui a fait deux victimes
22:47 parmi les policiers à Avenue Truden.
22:48 Une fusillade qui a eu lieu en mai 1983.
22:51 Elle a été revendiquée par le groupe d'extrême gauche Action Directe.
22:56 Et dans le cadre de cette enquête, les policiers ont imaginé, ont cru que vous aviez été
23:03 complice d'Action Directe.
23:05 Ils ne l'ont pas cru de manière complètement fortuite.
23:09 Ils l'ont cru parce que vous aviez des liens avec certains de ses protagonistes.
23:13 C'est ce que vous décrivez dans l'arrestation.
23:15 Ce doit être très difficile et vous le dites, vous avez dû vous y reprendre à plusieurs
23:19 fois avant d'écrire ce livre.
23:21 En fait, j'ai mis 40 ans à écrire ce livre.
23:24 Je l'ai commencé quand je me suis retrouvé à la santé en me demandant ce que je faisais
23:27 là.
23:28 J'avais publié déjà deux ou trois livres.
23:30 Je n'avais rien à voir avec Action Directe.
23:32 En vérité, je connaissais un ou deux personnages de cette organisation qui n'était d'ailleurs
23:38 pas encore une organisation.
23:39 Action Directe, à l'époque, ce n'était pas grand-chose.
23:41 C'était une nébuleuse.
23:43 On leur attribuait des attentats qu'ils n'avaient pas faits, d'autres qu'ils avaient fait.
23:48 C'était vraiment une nébuleuse.
23:49 Moi, je n'étais pas du tout proche d'Action Directe.
23:50 Je connaissais juste une ou deux personnes.
23:54 Et en fait, j'ai été dénoncé car le soir de la fusillade de l'avenue Trudène, l'un
24:00 de ces personnages avait les clés de mon appartement et je les ai retrouvés là un
24:04 jour où je rentrais complètement paniqué.
24:06 Ils ne savaient pas ce qui s'était passé.
24:07 Je les ai mis dehors et j'ai été dénoncé d'une manière anonyme en disant que j'avais
24:14 recueilli ces gens-là.
24:15 J'ai donc été arrêté un an plus tard ou quelques mois plus tard après avoir été
24:21 écouté, filé, tout ça.
24:24 J'ai commencé à écrire ce livre en prison.
24:26 J'ai mon journal de prison qui est un peu dedans.
24:29 Et puis ensuite, j'y suis revenu souvent.
24:32 Mais c'était une histoire dont je n'avais pas envie de parler parce que je ne la trouvais
24:36 pas honorable.
24:37 Je n'étais pas fier.
24:38 La prison n'est pas quelque chose de formidable.
24:39 C'est ça qui m'intéresse.
24:40 Pourquoi trouviez-vous que cette histoire était peu honorable ? Même si vous racontez
24:44 par exemple dans une scène particulièrement émouvante la manière dont votre père vous
24:49 parle au parloir de la prison et vous dit que vous pourriez mieux choisir vos amis.
24:55 Parce que quand vous faites une carrière politique ou même une carrière de brigand
24:59 comme Goldman a pu le faire, la prison, c'est en effet un chemin par lequel vous pouvez passer.
25:04 Quand vous êtes absolument innocent de tout, que vous avez juste quelques informations
25:09 qu'on essaye d'obtenir de vous, vous ne comprenez pas pourquoi vous êtes en prison.
25:13 Vous ne comprenez pas.
25:14 C'est quand même un univers très, très violent.
25:16 Je ne pensais absolument jamais et je ne suis pas fier ni de ce séjour, ni des raisons
25:22 pour lesquelles je me suis trouvé là.
25:24 Je n'en dirais absolument aucune gloire.
25:26 C'est une expérience humaine que j'ai voulu raconter dans ce livre plutôt qu'une
25:30 expérience politique.
25:32 Même si je raconte en effet l'évolution d'un jeune mec qui a 15 ans en 68.
25:38 Quels sont ses engagements ? C'est beaucoup un livre sur l'engagement aussi.
25:41 C'est un livre aussi sur l'amitié, une amitié avec un homme que vous appelez le
25:45 garçon.
25:46 Cet homme est un personnage réel.
25:49 Vous aviez une sorte de fascination avec cet homme qui était à la fois hableur, mi-gangster,
25:56 mi-terroriste, mi-politique, mi-voyou.
25:58 Bref, qui était cet homme et comment expliquez-vous justement la forme de fascination que vous
26:04 aviez vis-à-vis de lui ? Il n'est pas sans rappeler d'ailleurs, même si ce n'est
26:07 évidemment pas lui, il n'est pas sans rappeler Pierre Goldman.
26:10 Il n'y a pas beaucoup de comparaisons possibles avec Pierre Goldman.
26:15 C'est un type que je connaissais depuis que j'avais une quinzaine d'années.
26:19 On avait des complicités intellectuelles profondes, on jouait aux échecs ensemble.
26:23 Et puis à un moment donné, il s'est servi de moi.
26:26 Il m'a utilisé comme il l'a fait d'ailleurs de beaucoup d'autres, ce qui a été dit
26:30 dans les procès.
26:31 En fait, ce livre vient d'un…
26:33 En fait, je ne voulais pas faire un règlement de compte.
26:36 Une des raisons pour lesquelles j'ai mis 40 ans à le publier, c'est que d'abord
26:39 j'y suis revenu sans cesse.
26:41 Je n'avais pas trouvé la forme littéraire, je ne voulais pas faire un règlement de compte
26:46 et j'avais besoin de retrouver les protagonistes de l'autre côté.
26:51 C'est-à-dire que j'ai revu des juges, j'ai retrouvé le policier qui m'avait
26:55 arrêté et on a été confrontés de nouveau.
26:58 C'était un rapport extrêmement intéressant.
27:00 J'avais besoin de comprendre en vérité ce qui s'était passé à la fois au niveau
27:04 des faits et aussi dans la tête de cet écrivain complètement déréalisé que j'étais
27:09 à l'époque, j'avais 30 ans, et qui en effet finit par confondre l'héroïsme,
27:17 un héroïsme qui n'en est pas un, celui des braqueurs, celui…
27:21 Parce qu'en fait, c'est comme Pierre Goldman.
27:23 Pierre Goldman est un personnage formidable.
27:25 Moi, j'aurais adoré rencontrer Pierre Goldman.
27:28 Cédric Kahn, vous qui avez filmé ce Pierre Goldman.
27:32 Oui, mais c'est vrai qu'il y a une fascination pour les voyous, une fascination dangereuse
27:37 effectivement, alors qu'ils ont des vies effectivement pas forcément fascinantes.
27:42 Mais ce n'est pas n'importe quel voyou Goldman parce que c'est un voyou qui a
27:46 une phraseologie, c'est un voyou coté d'une idéologie.
27:49 C'est un voyou lettré déjà.
27:50 Oui, c'est ça.
27:51 C'est-à-dire qu'il a le langage.
27:52 Quand même, on voit dans un procès aussi l'importance du langage.
27:55 On voit bien que les simples gens qui viennent témoigner et qui n'ont pas vraiment les
27:59 mots, ils sont très vite écrasés par la machine judiciaire.
28:02 Donc ça, le langage, c'est quand même une arme extraordinaire.
28:05 Et l'écriture.
28:06 Vous, la radio, vous le savez.
28:07 On le sait, mais on ne se prévaut pas de ce que fait Goldman parce que lui se prévaut
28:14 d'une histoire.
28:15 Il considère que sa cause le dépasse très largement.
28:19 Il va instrumentaliser tout cela.
28:20 En tout cas, il élargit.
28:22 Il a cette capacité intellectuelle à élargir le débat et à convoquer des choses qui n'ont
28:27 rien à voir avec l'affaire dont il est accusé.
28:28 En fait, il a une conscience historique extrêmement forte qui est à sa vie tragique et à son
28:33 histoire.
28:34 Il est né pendant la guerre, ce qui n'est pas le cas.
28:37 En fait, moi, j'ai beaucoup écrit sur les mêmes périodes, sur la résistance, sur
28:41 la guerre d'Espagne.
28:42 Mon premier livre, c'est sur la guerre d'Espagne.
28:43 Donc, c'est une histoire qui m'importe.
28:45 Je raconte ça.
28:46 Justement, c'est pour ça, Dan Frank, qu'il faudrait expliquer aux auditeurs ce qu'était
28:51 la mythologie d'un homme de 30 ans comme vous l'étiez, entre les brigades internationales,
28:57 la résistance, entre Marcel Reymann, puisque l'on parle en ce moment de l'affiche rouge,
29:02 tout mot qui évoquait mille choses pour vous à l'époque.
29:05 Moi, j'ai beaucoup écrit là-dessus.
29:07 C'était en fait ma forme de militantisme.
29:09 Je ne sais pas si je n'avais pas écrit, peut-être que j'aurais fait autre chose,
29:12 pas terrible, mais c'est constitutif de mon histoire.
29:17 C'est ma mémoire.
29:19 C'est ma mémoire.
29:20 Et c'est la même que celle de Goldman.
29:21 La seule chose, c'est que Goldman, il est né en 44.
29:24 Il est né plus tard, beaucoup plus tard.
29:27 Et cette mythologie, elle est essentielle parce que c'est l'engagement en vérité.
29:32 C'est la problématique de l'engagement qui a toujours été à la source de mon travail,
29:36 de mon travail d'écrivain.
29:37 C'est ça qui me fascine chez Goldman.
29:40 C'est ça aussi, probablement, à un moment donné, qui a dû me fasciner chez des gens
29:44 dont l'engagement était au début peut-être honorable et qui est devenu, enfin, qui a
29:50 viré vers du brigandage et des gens qui se sont, en fait, inspirés aussi de cette histoire-là.
29:56 C'est-à-dire, cette histoire, elle est encore plus tragique pour les gens plus jeunes parce
30:00 qu'ils ne l'ont pas connue, ils l'ont mythifiée et à un moment donné, ils ont voulu, enfin,
30:06 ils ont pu croire qu'on se trouvait dans un régime fasciste, pétainiste et qu'il fallait
30:10 combattre.
30:11 Les idées d'extrême-gauche sont toujours extrêmement séduisantes et puis elles convoquent
30:14 le romanesque.
30:15 Le problème, c'est la rencontre avec la violence.
30:17 C'est qu'à un moment, il y a toujours une rencontre avec la violence.
30:19 Et la rencontre avec le réel.
30:20 On ne vit plus dans ces sociétés-là.
30:22 Mais pour les gens, les intellectuels qui sont en admiration ou en intérêt pour ces
30:28 idées-là, après, il faut assumer le fait que ça fréquente la violence.
30:32 Ça, c'est plus compliqué.
30:33 Et vous, Dan Franck, dans le sentiment, je ne sais pas si le terme est exact, dans le
30:39 sentiment de honte, en tout cas d'absence radicale de fierté, c'est ce que vous décrivez
30:44 dans ce récit, l'arrestation publiée aux éditions Grasset.
30:47 On voit bien que vous n'êtes pas fier d'être en prison.
30:51 Vous en concevez de la honte et vous concevez notamment de la honte d'avoir été instrumentalisé,
30:57 d'avoir été berné par des personnes dont finalement les actes, la réalité est bien
31:03 éloignée des justifications qu'ils pourraient se donner.
31:07 Moi, je n'ai jamais partagé cette idéologie-là.
31:10 Simplement, c'est une rencontre de personnes.
31:13 Ce n'est pas une rencontre.
31:14 Je ne défends aucune cause comme celle-ci.
31:17 Je me suis beaucoup engagé sur les sans-papiers, les migrants, etc.
31:20 Mais ça reste dans ce cadre-là.
31:22 Mais je suis… je fais un peu n'importe quoi.
31:29 Finalement, l'écrivain confond tout, c'est-à-dire ce besoin d'écriture, ce besoin d'invention,
31:35 ce besoin se confronte à une réalité dont on ne mesure pas les conséquences.
31:40 Et j'essaie de faire ce que je peux pour me sortir de là.
31:45 Qu'est-ce que vous vous dites lorsque vous êtes arrêté la première fois, lorsque
31:52 les policiers vous interrogent, sans vous dire évidemment de but en blanc pourquoi
31:57 vous êtes arrêté ?
31:58 Les policiers sont évidemment très forts.
32:00 Ils me suivent depuis des mois.
32:03 Ils savent… je suis dénoncé, ils me connaissent un peu.
32:07 Donc ils m'arrêtent une première fois et je suis gardé 48 heures.
32:12 Et le policier qui m'interroge, que j'appelle le bordelais dans le livre, me relâche en
32:18 me disant "si vous avez menti, je vous retrouverai".
32:20 Et en fait, j'ai menti par omission, c'est-à-dire je connaissais deux ou trois choses qui étaient
32:24 faites par les deux ou trois personnes que je connaissais.
32:27 Ce n'était pas grand-chose.
32:28 Mais quand même, je mens.
32:29 Et en vérité, il le sait.
32:32 C'est-à-dire qu'en fait, il me manipule aussi d'une manière incroyablement puissante.
32:37 De même que le juge d'instruction me manipule après d'une manière incroyablement puissante.
32:42 C'est-à-dire il vous manipule ? Pourquoi vous manipulez ?
32:44 Parce qu'en fait, ils savent tout.
32:47 Ils cherchent par exemple la personne qui m'a dénoncé.
32:51 On a un rapport assez étrange.
32:54 Ils m'arrêtent une première fois, puis ils me convoquent, ils me montrent des photos
32:57 de cette fille.
32:58 Je finis par la reconnaître.
32:59 Je dis que ce n'est pas elle, mais ils savent que c'est elle.
33:02 Donc, à partir de ce moment-là, c'est ce que vous racontez dans l'arrestation,
33:07 Dan Frank.
33:08 C'est à partir de ce moment-là où l'innocent que vous êtes se transforme en coupable,
33:10 puisque vous avez menti.
33:11 Oui, c'est ça.
33:12 Le mensonge, vous mentez une fois, vous mentez tout le temps.
33:15 Vous êtes obligé d'aligner.
33:16 Vous avez choisi votre partie.
33:18 Vous avez choisi la règle.
33:19 Et finalement, vous vous gourrez complètement.
33:21 Et ils savent que vous mentez.
33:23 Et quand j'ai retrouvé ce flic qui m'avait arrêté, j'ai mis des années avant de le
33:27 retrouver.
33:28 C'était une rencontre absolument incroyable.
33:30 Il m'a dit qu'on savait tout.
33:32 Et quand je lui ai téléphoné, je lui ai dit que je voulais donner une forme définitive
33:37 à ce livre.
33:38 Je lui ai dit que je voudrais raconter l'histoire de Dan Frank vue par les flics.
33:41 Il m'a dit qu'il n'y avait rien.
33:43 On est arrivé sur vous.
33:44 On s'est rendu compte tout de suite que non.
33:46 Simplement, j'ai obtenu, j'ai réussi à trouver des...
33:49 Ils avaient fait une recherche sur moi absolument incroyable, sur ma jeunesse, sur mon militantisme.
33:54 J'ai retrouvé des papiers qui sont dans le livre des comptes rendus d'enquête, des
33:57 renseignements généraux.
33:58 Et c'est comme ça d'ailleurs qu'ils ont su que j'avais fait une quête pour la veuve
34:03 de Goldman le jour de la mort de Goldman.
34:06 - Ce qui est étonnant avec Pierre Goldman dans votre film Cédric Kahn, c'est que là
34:12 aussi cet homme, alors il ment probablement plus que Dan Frank si on considère qu'il
34:18 est coupable.
34:19 Mais comme cette présomption existe, comme beaucoup de personnes pensent qu'il a effectivement
34:27 tué ses deux pharmaciennes, eh bien l'ambiguïté, elle, elle préside à votre film.
34:33 On n'arrive jamais à savoir si cet homme qui parle avec tant de convictions est un
34:37 menteur.
34:38 - Enfin, il essaie de sauver sa tête quand même.
34:39 Je pense qu'on mentirait tous pour sauver notre tête.
34:43 - Il cherche à sauver sa tête mais il le fait avec une telle conviction et avec de
34:47 tels arguments parce qu'il ne sauve pas sa tête uniquement en parlant de lui.
34:52 Il englobe en fait toute une collectivité, tout un pluriel.
34:57 Il parle des juifs, il parle d'une société qu'il accuse d'antisémitisme.
35:01 Bref, ça n'est pas rien.
35:02 C'est une forme de défense.
35:03 - Oui, oui, il convoque beaucoup de choses.
35:05 Beaucoup de choses au-delà de l'affaire et c'est son talent en fait.
35:10 Finalement, il parle assez peu de l'affaire.
35:12 Il se défend très peu sur les faits.
35:14 - Qu'est-ce que vous en pensez, Dan Frank, rétrospectivement, Pierre Goldman ? Est-ce
35:18 que vous pensez qu'il était innocent, coupable ? Vous qui appartenez à cette génération,
35:22 qui a vibré ?
35:24 - Oui, j'étais plus jeune que lui, j'étais 10 ans de moins.
35:27 C'est ce que je réponds à l'interrogatoire des flics qui m'interrogent sur Goldman.
35:33 Pour moi, il a été acquitté, point.
35:34 - Ça, c'est ce que vous répondiez en 1984.
35:37 - Je dis à peu près la même chose.
35:39 Il a été acquitté, puis il a été assassiné.
35:42 Moi, mon sentiment, c'est qu'il protège quelqu'un.
35:45 Mon sentiment, c'est qu'ils étaient deux, Boulevard Richard Lenoir, au moment de l'attaque
35:51 de cette pharmacie, et qu'ils protègent quelqu'un.
35:53 C'est un peu le sentiment que j'ai.
35:54 Mais vous savez, il y a un trouble formidable chez Goldman.
35:59 Il y a à la fois, est-ce qu'il a tué ou pas ? Moi, je dis que non, puisqu'il a été
36:03 acquitté.
36:04 Et la deuxième chose, c'est son assassinat.
36:07 C'est-à-dire que son assassinat a été revendiqué et il est contesté en même temps,
36:11 alors qu'il a évidemment été assassiné par un commando d'extrême droite.
36:15 - Et rétrospectivement, cette génération qui s'est engagée à gauche, alors elle
36:19 s'est engagée de différentes manières.
36:22 Elle a été parfois strictement légaliste, parfois donc elle a pris les armes dans un
36:28 petit nombre de cas que vous racontez dans votre livre "L'Arrestation".
36:31 Dan Franck, quel regard portez-vous sur cette génération, sur la vôtre ?
36:34 - Moi, je dis que beaucoup de choses viennent de mai 68.
36:39 C'est d'ailleurs une thèse que je défends dans ce livre, et qu'avoir 15 ans en 68,
36:43 ce n'est pas la même chose qu'en avoir 20.
36:45 C'est-à-dire que la génération des gens qui avaient 20 ans à l'époque, ont construit
36:49 une vie autour de ça, sont devenus souvent producteurs ou journalistes ou patrons de
36:53 presse.
36:54 Et d'autres qui étaient plus jeunes, qui ont donc conquis et revendiqué une liberté
36:58 personnelle, comme moi d'ailleurs, c'est-à-dire que vous quittez vos familles, vous travaillez
37:02 très tôt, etc.
37:03 Ça a manqué de structure, de structure politique, ça a manqué de structure.
37:09 Donc, il y a eu une...
37:10 Comme ça, moi j'ai plein d'amis de cette époque qui sont morts d'overdose, qui ont
37:15 été à Malville, à Kreis Malville, sur les premières centrales, et qui ont...
37:19 - Centrales nucléaires.
37:20 - ... sont morts là-bas, les centrales nucléaires.
37:21 - Manifestations contre...
37:22 - Beaucoup.
37:23 - Et vous Cédric Kahn, un mot de conclusion sur cette génération qu'incarnait Goldman,
37:28 pour qui Goldman était un symbole ?
37:30 - En tout cas, le recours à la violence, ça reste une question très présente tout
37:34 le temps, dans tous les combats.
37:35 Donc ça, finalement, dès que des gens essaient de lutter pour quelque chose, la question
37:41 du recours à la violence se pose.
37:43 Donc je ne pense pas que ça soit propre à cette génération.
37:45 Après, oui, on voit que...
37:47 Mais Goldman était déjà très critique sur mai 68.
37:50 - Il était absolument contre.
37:51 D'abord, il n'était quasiment pas là.
37:53 - Et je pense qu'à l'époque du procès 76, on est déjà presque 10 ans après 68, on
37:57 est déjà un peu dans la fin de cette époque.
37:59 - Cédric Kahn, le procès Goldman, c'est votre film en salle, mercredi prochain, la
38:04 semaine prochaine également, et publiez votre livre, Dan Frank, "L'arrestation", aux éditions