Rentrée politique : l’unité républicaine selon Emmanuel Macron

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L'invité des Matins de France Culture.
Comprendre le monde c'est déjà le transformer(07h40 - 08h00 - 28 Août 2023)
Retrouvez tous les invités de Guillaume Erner sur www.franceculture.fr

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Transcription
00:00 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
00:06 Pour sonner la cloche de la rentrée politique, Emmanuel Macron a invité les forces politiques
00:10 à se réunir mercredi prochain dans un esprit de réforme transpartisane.
00:14 Après le Front Républicain, il sera donc question cette année d'un arc républicain.
00:19 Tiens, tiens, un arc républicain.
00:21 Bonjour Nicolas Rousselier.
00:22 Bonjour Guillaume Erner.
00:23 Vous êtes professeur d'histoire politique à Sciences Po.
00:26 On vous doit un ouvrage devenu classique.
00:29 Désormais la force de gouverner, le pouvoir exécutif en France, c'était aux éditions
00:34 Gallimard.
00:35 Arc républicain, vous nous expliquez ce qu'est un arc républicain ?
00:38 Je vais avoir du mal à expliquer parce que le terme lui-même, avec le terme d'arc,
00:44 signifie finalement qu'on fait plus attention aux marges qu'aux centres.
00:46 Quand on fait attention aux centres, on disait par exemple « discipline républicaine »,
00:51 « front républicain ». C'était l'idée qu'il y avait des forces politiques capables
00:55 d'exister, capables d'embarquer les gens et de faire union.
00:59 Ici, le terme d'arc, c'est peut-être bien sûr involontaire, mais sans me souligner
01:03 qu'au moment où on veut faire un arc républicain, on veut le faire quand il y a une crise extrêmement
01:08 profonde des forces politiques.
01:09 Les forces politiques ne sont plus des partis.
01:12 Ces partis ne sont pas capables de discipline, ni discipline externe, c'est-à-dire s'allier,
01:17 ni une discipline interne, c'est-à-dire imposer une discipline par exemple dans un
01:21 groupe parlementaire.
01:22 Vous voyez à qui je peux penser ?
01:23 On peut voir plusieurs cibles.
01:25 Oui, d'ailleurs, je vais vous demander quand même de nous donner quelques indices.
01:28 LR, par exemple, le groupe LR à l'Assemblée nationale n'a pas fait preuve d'une extrême
01:33 discipline dans les mois qui précèdent et ça risque d'être pire dans les mois qui
01:37 viennent.
01:38 Donc on est dans une perte des repères, une perte des étiquettes, donc on essaye d'en
01:41 inventer une autre.
01:42 Elle a une profondeur historique, il ne suffit pas de se moquer si vous voulez de ce terme
01:47 un peu fourre-tout, un peu chamallow.
01:49 Il y a une profondeur historique dans le sens où effectivement, notre histoire politique
01:53 a très longtemps parlé d'union républicaine, de parti républicain, même si le terme
01:58 parti au XIXe siècle ne correspondait pas à une forme organisée.
02:02 Mais quand Gambetta disait parti républicain, c'était très clair.
02:05 Pourquoi ? Tout simplement parce qu'il y avait des républicains qui défendaient le
02:08 régime républicain, une constitution républicaine et d'autres qui défendaient la monarchie,
02:13 soit sous sa forme royale, soit sous la forme bonapartiste.
02:17 Ça, ça a duré quand même assez longtemps parce que vous prenez les monarchistes, ça
02:20 a rebondi.
02:21 La constitution française, Charles Maurras, était très content de ne pas être considéré
02:25 comme républicain.
02:26 Il était en dehors du parti républicain.
02:28 Donc il y a, si vous voulez, une force substantielle du mot républicain pendant assez longtemps.
02:33 Je pense que le dernier moment où il y a un sens profond, c'est quand il y a l'opposition
02:39 entre la tradition républicaine centrée sur le Parlement, défendue par exemple par
02:42 Mendès France contre De Gaulle, vous voyez, au début de la Ve République, et puis cette
02:46 nouvelle tradition républicaine incarnée par De Gaulle.
02:49 Là, quand Mendès disait la République, la République moderne par exemple, il signifiait
02:55 la force de la discussion, la force du Parlement et aussi la force des associations locales,
03:00 etc.
03:01 Ça s'opposait frontalement à la nouvelle conception, la conception gaullienne, ce
03:05 que j'ai appelé la force de gouverner, où le gouverner s'impose aux parlementaires,
03:08 au Parlement.
03:09 Bon, donc aujourd'hui, on essaye de faire renaître un sens, mais c'est très compliqué.
03:15 Je pense que sur l'aile gauche, ça signifie probablement qu'on va mettre une limite rouge
03:21 sur la question de la violence, sur la question de qu'est-ce qu'on entend par désobéissance
03:25 civile, est-ce que ça va jusqu'à la légitimation de la violence ? À ce moment-là, on aura
03:29 beau jeu de dire "ah, regardez, ils ne sont plus républicains".
03:32 Et puis sur la droite, c'est probablement, bien sûr, le racisme, mais aussi la position
03:38 par rapport à l'immigration.
03:39 Donc si on commence, si on pourra dire "ah, regardez, ils tapent sur les immigrés, donc
03:43 ils sont hors du...", autrement dit, en fait, c'est ce terme d'arc républicain.
03:47 Je vais faire un mauvais jeu de mots, c'est la rentrée.
03:49 On voit des flèches qui sont peut-être des cibles mouvantes, on va dire.
03:54 Mais attendez, Nicolas Rousselier, parce que vous nous avez dit, bon, tout ce vocabulaire
03:58 est un vocabulaire qui, finalement, est un vocabulaire lié, associé aux périodes de
04:03 crise.
04:04 Nous sommes dans une période de crise ou pas ? Parce qu'en début d'été, il y avait
04:10 des émeutes, auparavant, il y a eu différentes péripéties que je n'ai pas besoin de vous
04:15 rappeler, des retraites au Covid, en passant par les gilets jaunes.
04:19 On a l'impression, effectivement, que notre société est en crise.
04:22 Oui, ça, c'est vrai.
04:24 Il y a des signes de crise multiples.
04:27 Cependant, bon, là, c'est un point de discussion, mais je vais donner mon avis personnel.
04:33 Cependant, cette crise, si vous voulez, ne mord pas encore complètement sur les fondamentaux
04:39 de la Constitution, la colonne vertébrale, et l'usage qu'on en fait.
04:43 Qu'on aime ou qu'on n'aime pas, l'usage que le président Macron fait de la Constitution
04:48 ou le macronisme, c'est un usage des instruments de la Constitution.
04:53 C'est presque cynique de dire ça, mais ça marche dans le sens instrumental.
04:57 Ça marche, il a passé le cap de la réforme des retraites.
05:01 On sait comment ça s'est passé avec l'usage du 49-3.
05:04 Et donc, on en est là, on en est au moment où la Ve République et l'héritage de
05:11 De Gaulle sert de bouée de sauvetage, si vous voulez.
05:14 Mais ce qui est la vraie crise, et je trouve bizarrement qu'on ne le souligne pas assez,
05:20 c'est que la Constitution existe.
05:23 Il y a une colonne vertébrale.
05:24 Celui qui est au pouvoir peut s'en servir encore et peut s'en servir de manière efficace.
05:28 Mais le sol se dérobe sous les pas du gouvernant, du président ou de la première ministre.
05:34 À savoir cette discipline de parti.
05:37 La Ve République, c'est une Constitution, De Gaulle l'invente.
05:41 Et la surprise du chef, auquel ne s'attendait pas ni De Gaulle ni de Bray, la surprise du
05:46 chef qui se construit au cours des années 60, c'est la discipline d'une majorité.
05:52 Et à chaque membre de la majorité, le parti gaulliste, mais aussi les partis alliés,
05:57 il y a une discipline de groupe.
05:58 Vous êtes en train de dire que finalement, ce sont les partis politiques qui remplissent
06:03 moins leur rôle que ce qu'ils devraient faire, Nicolas Rousselier.
06:07 Oui, un parti politique, il identifie une doctrine.
06:10 La doctrine est supposée donner une identité électorale, donc être facilement identifiable
06:17 par les électeurs.
06:18 Du coup, ça crée un effet de regroupement et donc ça délivre en quelque sorte une
06:23 majorité.
06:24 Et le principe même de la Ve République, ce qui fait qu'évidemment, on la classe
06:30 bien sûr dans le cadre des démocraties.
06:32 On peut faire des tas de critiques.
06:34 C'est qu'il y a ce lien, ce lien entre l'électoral, l'expression de la volonté nationale et
06:39 puis un regroupement, un regroupement relativement stable qui donne ce qu'on appelle justement
06:44 une majorité et traditionnellement une majorité absolue.
06:48 Donc, si vous voulez, le gouvernement pouvait invoquer, j'ai une majorité qui en permanence
06:54 dans l'Assemblée incarne la volonté nationale.
06:57 Vous voyez ce que je veux dire ? Il y a presque physiquement présent par sa discipline l'expression
07:02 de la majorité.
07:03 Bien sûr, c'est toujours un peu fictif, mais une majorité supposée de la volonté
07:09 nationale.
07:10 Mais alors justement, la sensation, Nicolas Rousselier, qui est entretenue par les oppositions,
07:15 puisque les oppositions sont la force opposée, est que le gouvernement est illégitime, que
07:21 la légitimité dans laquelle il se drape doit être remise en cause.
07:25 Est-ce que ça, par exemple, ce n'est pas une situation de crise politique permanente ?
07:30 Il y a une légitimité plus faible, ça c'est évident.
07:35 On est plus faible en légitimité quand on est dans une majorité relative parce que
07:39 tous les quatre matins, on se pose la question de savoir si la majorité va disparaître,
07:44 s'il va y avoir un accident d'Assemblée nationale, c'est-à-dire par exemple le vote
07:48 sur une motion de censure.
07:49 Peut-être que dans quelques semaines, on aura plus de LR, membres du groupe LR, à
07:55 l'Assemblée qui vont voter pour une motion de censure de l'opposition.
07:58 Ça veut dire qu'à ce moment-là, Mme Borne doit démissionner.
08:00 Donc on est dans ce paysage complètement inconnu.
08:04 Mais il faut bien faire attention à l'usage de l'argument de la légitimité parce qu'il
08:09 se retourne facilement contre ceux qui le prononcent, dans le sens où ceux qui le prononcent
08:13 qui ne sont pas des chefs de parti, mais qui sont maintenant dans une situation elle-même
08:18 assez liquide.
08:19 Alors justement, ce qui est drôle, c'est qu'on dit "je convoque mercredi les forces
08:25 politiques".
08:26 Sauf que ces forces sont faibles.
08:28 Et techniquement, si on peut prendre ce petit bout de la lorgnette, c'est très compliqué
08:34 parce qu'il y aura un membre individuel qui représente chacune supposée force politique,
08:40 donc un chef de parti, mais qui ne pourra pas vraiment parler au nom de tout son parti
08:43 puisque chacun des partis est très divisé.
08:45 La NUPES ne sera pas représentée en tant que telle.
08:48 La NUPES n'est pas un parti, c'est même pas un groupe, c'est un intergroupe pour
08:51 être dans la cuisine de l'Assemblée nationale.
08:54 Donc on est dans une situation complètement nouvelle où au fond, c'est un peu comme
08:59 quand on se tient la barbichette, il faut bien faire attention, la crise de légitimité
09:04 vaut pour tout le monde.
09:05 C'est aussi un problème d'arithmétique parce que cette 5ème République, elle a
09:08 été faite pour deux blocs.
09:11 On se retrouve aujourd'hui avec trois blocs.
09:13 Est-ce qu'il est possible de faire entrer trois blocs dans deux blocs ? Est-ce que cette
09:19 volonté de faire un arc républicain, ce n'est pas tout simplement d'essayer de
09:24 reconstruire ça ? Un deuxième bloc qui serait quasi majoritaire ?
09:30 Oui, moi je ne suis même pas sûr qu'on puisse encore parler de bloc en fait.
09:34 C'est-à-dire le vieux vocabulaire politique qui est lié à une démocratie stable, stable
09:40 par sa constitution, mais stable aussi par sa vie politique.
09:42 Elle était fondée sur soit des partis, soit des blocs d'alliances.
09:46 Des alliances stables, regardez comment on gouverne en Hollande, en Suède ou en Allemagne
09:51 surtout, pays de tradition de coalition.
09:54 Finalement, probablement la force des partis politiques comme en Allemagne, qui restent
09:59 les mêmes, c'est que justement ils doivent garantir des coalitions.
10:03 Donc ils doivent rester un minimum disciplinés pour être gouvernables si je puis dire.
10:09 En France, on n'a pas ça.
10:11 Donc actuellement, on est devant un phénomène tout à fait, alors on peut dire inquiétant,
10:16 mais aussi passionnant pour l'observateur, où on doit réinventer une vie politique
10:21 sans passer par la case force, bloc et probablement pas par la case parti politique.
10:27 Alors, à l'autre possibilité qui était donnée, c'était justement de ne plus passer
10:32 par les partis politiques traditionnels et d'essayer de faire plus de démocratie directe.
10:38 Est-ce que ça c'est une possibilité ?
10:39 C'est celle qui est explorée cas en cas par le président de la République, puisque
10:44 à chaque crise, on répond par une initiative, une innovation.
10:49 Après, on la juge comme on veut.
10:50 Le Grand Débat pour les Gilets jaunes.
10:54 Ensuite, les conventions citoyennes.
10:55 Le CNR, le Conseil National de la Refondation, dont on ne parle pas beaucoup, mais qui existe.
11:00 Et puis là, vous avez le 30 août.
11:02 On n'en parle pas beaucoup, peut-être parce qu'il a du mal.
11:04 Oui, je vous l'accorde volontiers.
11:06 Et là, le mercredi 30 août, qui est d'ailleurs aussi une date historique pour les plus savants
11:13 d'entre nous.
11:14 C'est-à-dire ? Parce que nous ne sommes pas savants comme vous, Nicolas Rousseli.
11:18 Non, moi, je fais semblant.
11:19 Le 30 août 1954, c'est le moment où justement, Mendes, Mendes France, avait par un vote un
11:27 peu oblique à l'Assemblée Nationale, on est sous la 4ème République, avait enterré
11:31 la CED, la Communauté Européenne de Défense.
11:34 Alors, ça n'a l'air de rien, mais c'est une vraie date historique parce que ça veut
11:37 dire que la construction européenne ne se faisait pas sur le régalien, sur la défense.
11:41 Vous voyez où on en est aujourd'hui ? On a un marché, on a une dynamique, elle vaut
11:46 ce qu'elle vaut, mais une dynamique d'union par l'économie et pas forcément d'Europe
11:51 puissance.
11:52 Non, mais pour revenir à l'innovation par la démocratie directe, c'est certainement
11:55 trop accordé à ces initiatives de parler de démocratie directe.
11:58 D'ailleurs, c'est bien malin et celui qui peut définir la démocratie directe.
12:02 Mais incontestablement, on peut critiquer la modalité, on peut critiquer aussi les
12:08 résultats.
12:09 On peut critiquer la Convention citoyenne, mais incontestablement, il y a des initiatives
12:14 qui sont prises.
12:15 Nicolas Rousselier, on se retrouve dans quelques minutes.
12:18 Vous serez rejoint par la philosophe Céline Spector.
12:22 Je rappelle que vous êtes professeur d'histoire politique à Sciences Po.
12:25 Et on vous doit notamment la force de gouverner aux éditions Gallimard.
12:29 Les matins de France Culture, Guillaume Erner.
12:35 La volonté de faire république, la question de la décivilisation, la question également
12:44 d'une classe gouvernante éloignée du peuple.
12:46 Bref, tous ces thèmes sont dans le débat public.
12:49 On en parle avec Nicolas Rousselier, professeur d'histoire politique à Sciences Po.
12:54 On vous doit notamment la force de gouverner.
12:57 Et nous accueillons Céline Spector.
12:59 Bonjour Céline Spector.
13:01 Vous êtes professeure à l'UFR de philosophie de Sorbonne Université.
13:04 Vous êtes une grande spécialiste notamment de Montesquieu.
13:06 On vous doit nos démos publiées aux éditions du Seuil.
13:09 Quand vous entendez ces thèmes, notamment le fait que la classe gouvernante est déconnectée
13:15 du peuple, le fait qu'il faut faire république, vous qui êtes philosophe, philosophe du
13:20 politique, qu'est-ce que ça évoque en vous ?
13:22 Je voudrais revenir d'abord au concept de république peut-être et à quelques éléments
13:26 historiques.
13:27 Il faut savoir que la république au départ c'est l'État.
13:28 C'est la chose publique, la res publica.
13:30 Mais petit à petit, notamment au XVIIe et au XVIIIe siècle, avec les révolutions
13:35 qu'on appelle parfois les révolutions démocratiques, la république prend un autre sens.
13:39 Elle devient en fait une critique de la monarchie et elle va petit à petit s'apparenter à
13:43 la démocratie.
13:44 Dans ce cas, la république c'est la souveraineté du peuple, c'est le fait que la loi devienne
13:48 l'expression de la volonté générale et que les gouvernants deviennent les ministres
13:51 du peuple qui doivent exécuter ces volontés.
13:53 On a évidemment en France une importance vraiment majeure de la philosophie de Rousseau
13:58 qui est le cœur de la tradition républicaine en France.
14:02 Donc avec cette idée notamment qu'on retrouve dans la Déclaration des droits de l'homme
14:05 que la souveraineté repose essentiellement dans la nation.
14:08 Et attention, la nation ça veut dire ici le peuple, il faut être attentif aux détails.
14:13 Et selon laquelle la loi est l'expression de la volonté générale.
14:15 On parle de gouvernants déconnectés, ça veut dire des gouvernants qui n'assument
14:20 plus leurs responsabilités de commissaires du peuple et qui à ce titre finalement auraient
14:24 leurs ambitions propres, ce qui est bien naturel, mais qui doivent aussi évidemment réaliser
14:28 les aspirations populaires.
14:29 Qu'en pensez-vous Nicolas Rousselier ?
14:30 Oui, je suis d'accord, mais je pense qu'on est passé à un autre modèle depuis au moins
14:37 le début de la Vème République.
14:38 On le voit d'ailleurs dans la lettre qu'a envoyée le président Macron au chef des forces
14:43 politiques qui sont invités ce mercredi.
14:45 Parce que c'est une philosophie politique un peu trouble puisqu'il parle des nécessités
14:51 du moment.
14:52 En gros il dit qu'il y a des nécessités qui s'imposent à nous, la crise climatique,
14:56 la crise géopolitique globale, et il dit "nous allons discuter ensemble de ces nécessités".
15:02 Or, gouverner selon les nécessités, ce n'est pas gouverner selon les volontés du peuple
15:07 qui sont médiatisés par une assemblée et par la discussion comme l'inspecteur vient
15:11 de le rappeler.
15:12 Et c'est un peu curieux parce que s'il y a une nécessité historique, à la De Gaulle
15:17 si vous voulez, De Gaulle pensait qu'il y avait une nécessité historique à quitter
15:20 l'Algérie.
15:21 Et il l'a imposée contre la volonté, peut-être pas de la majorité des français, mais c'est
15:27 croustillant, contre la volonté de son propre parti politique.
15:31 Ou disons contre la volonté de la droite de l'époque.
15:33 Donc dire qu'il y a une nécessité c'est quelque chose qui s'impose comme une fatume,
15:37 comme un destin, un destin dont on demande aux forces politiques simplement de reconnaître
15:41 l'existence.
15:42 On n'extrait pas une volonté des interlocuteurs qu'on va voir mercredi.
15:48 On leur impose en quelque sorte de reconnaître et d'être d'accord sur une nécessité.
15:53 Donc l'exercice est compliqué parce que c'est un exercice qui ressemble à une délibération.
15:58 Ça ne sera pas une délibération.
15:59 C'est pas un mini-parlement ce mercredi après-midi à 15h pour prendre le thé ensemble.
16:04 Donc on est à la charnière de ça.
16:08 Mais Céline Spector, vous qui êtes philosophe, ce serait un rêve, un idéal que les partis
16:14 politiques français se mettent d'accord entre eux, qu'il y ait je ne sais pas, un
16:17 système de la concorde entre les politiques ou bien en philosophie politique c'est une
16:24 chimère ?
16:25 Alors c'est très intéressant là aussi d'avoir une perspective un peu historique
16:28 et généalogique.
16:29 A l'origine chez Cicéron par exemple la "Respublica" doit viser la concorde.
16:33 C'est vraiment l'objectif, une sorte d'harmonie civique.
16:35 En revanche, ce qui est au fondement aussi de la tradition républicaine chez Machiavel,
16:39 c'est l'idée que ce sont les conflits qui sont véritablement porteurs de liberté.
16:44 Et qu'en réalité, une république trop calme, une république où on aurait en quelque
16:48 sorte anéanti le conflit entre les grands et le peuple, entre les grands qui veulent
16:51 dominer et le peuple qui ne veut pas être dominé, c'est une république qui va vers
16:55 la servitude.
16:56 Et donc il faut faire très attention à la fiction d'unité, à l'illusion du consensus
17:02 qui masquerait les divisions, qui masquerait les différences et les clivages et qui du
17:05 coup oublierait aussi ce qui pourrait être la nécessité d'une politique structurelle
17:11 par exemple pour lutter contre les inégalités, pour lutter contre les discriminations, pour
17:15 lutter contre ce qui divise réellement la république.
17:18 Donc créer un consensus comme ça, on pourrait dire, à partir de rien, ex nihilo, c'est
17:22 évidemment très risqué.
17:23 Mon camarade Jean Lemarie.
17:24 Je vais revenir au mot qu'emploie le président de la République dans le courrier qu'il a
17:29 envoyé au chef de parti invité cette semaine.
17:31 Il parle de l'intérêt supérieur de la nation.
17:34 Donc là effectivement, on est dans l'image d'un président au-dessus de la mêlée,
17:38 qui va au bout, au fond de sa fonction, effectivement, fonction unificatrice, un rôle presque historique,
17:45 encore plus que politique, au sens où la politique serait la vie quotidienne, l'affrontement
17:50 politique.
17:51 Mais là c'est très compliqué effectivement et c'est très ambigu parce que c'est
17:54 la question suivante.
17:55 Emmanuel Macron est-il le président unificateur, celui qui unit tous les Français au regard
18:01 de l'histoire, d'une histoire très agitée ? Ou est-il aussi toujours le vrai chef de
18:06 la majorité dans un moment politique extrêmement tendu, disputé ? L'été est passé là,
18:11 on est en train de se finir, mais il ne faut pas oublier qu'il y a eu la bataille des
18:13 retraites extrêmement disputée.
18:15 Il ne faut pas oublier qu'il y a eu une crise majeure juste avant l'été, c'est
18:19 évidemment les émeutes après la mort du jeune Al.
18:21 Tout ça a laissé des traces.
18:23 Le président de la République peut-il être à la fois dans la mêlée, en essayant de
18:28 trouver des solutions, en défendant son programme, j'en parlais dans le billet politique,
18:31 et au-dessus de la mêlée ? C'est ça la question ?
18:33 Nicolas Rousselier.
18:34 Oui, la question de la mêlée, de l'image de cette mêlée.
18:37 C'est vrai que c'est compliqué parce que, pour faire un peu un jeu de mots, on n'imagine
18:41 pas le général de Gaulle préparer un séminaire d'entreprise avec les chefs comme Jean-Luc
18:46 Anuet ou François Mitterrand à l'époque, dans les années 60, pourquoi pas Valdez-Crochet.
18:50 Il les méprisait assez largement, je crois.
18:53 Oui, mais il méprisait tous ceux qui pouvaient avoir une vision factionnelle, une vision
18:58 particulariste de l'intérêt général.
19:00 Donc, vous pouvez avoir une vision presque mystique de l'intérêt général, il doit
19:04 être tout d'une pièce et il s'impose de lui-même.
19:07 Ça, c'était la vision gaullienne.
19:09 D'où le fait que, gouverner, ce n'est pas simplement discuter dans une assemblée et
19:14 espérer atteindre une sorte de compromis provisoire par une assemblée.
19:17 Gouverner, c'est effectivement accompagner la nécessité historique.
19:21 Donc, quand vous avez une philosophie politique comme celle de De Gaulle, jamais on n'aurait
19:24 imaginé qu'il descende, ce sera peut-être la Seine-Saint-Cloud, on ne sait pas où,
19:29 ce ne sera pas à l'Elysée justement, donc ça désacralise un moment qui devrait être
19:32 un peu sacral.
19:33 Bon, c'est un peu compliqué pour ça, mais de ce point de vue-là, c'est gaullien et
19:40 ce n'est pas gaullien.
19:41 Et ça montre qu'il y a une brouille entre la notion d'autorité et la notion de gouverner,
19:45 la notion de présider et la notion de gouverner.
19:48 C'est-à-dire que là, effectivement, pour faire un peu de politique aérie, c'est vrai
19:51 que là, Macron, le président Macron, veut bien montrer qu'il fait sa rentrée.
19:56 Il n'y a pas seulement M. Attal, pas seulement M. Darmanin, pas seulement Elisabeth Borne.
20:01 Donc, il fait la rentrée après les petites rentrées du week-end et ce sera mercredi
20:06 en majesté.
20:07 Mais c'est vraiment post-gaullien dans mon esprit.
20:11 Est-ce que c'est post-Montesquieu, c'est l'inspecteur, puisque vous êtes philosophe
20:15 du politique et chez Montesquieu, l'équilibre des pouvoirs, mais aussi leur séparation,
20:22 c'est-à-dire qu'il n'y ait finalement pas qu'un bloc, mais de la dialectique,
20:26 des choses qui bougent, c'est quelque chose d'essentiel ?
20:28 Alors oui, je voudrais juste préciser que lorsque Montesquieu théorise la distribution
20:32 en fait, plutôt que la séparation stricte des pouvoirs, à propos de la Constitution
20:36 d'Angleterre, qui était déjà une monarchie constitutionnelle à partir de 1689, il a
20:41 surtout en vue le fait que l'intérêt général n'est pas quelque chose que l'on puisse
20:45 viser directement.
20:46 Ça, c'est une idée qu'on aura chez Rousseau.
20:48 La volonté générale vise l'intérêt général et les citoyens sont capables de
20:51 le voir et de le vouloir.
20:53 Tandis que chez Montesquieu, en fait, il y a des forces sociales, il y a des forces
20:58 politiques institutionnalisées qui chacune veulent leur propre intérêt particulier.
21:02 Donc par exemple, la Chambre des communes va vouloir défendre ses prérogatives, la
21:06 Chambre des lords de les siennes et en particulier celle de la noblesse.
21:08 Et donc c'est à l'issue d'un conflit entre les intérêts particuliers que l'intérêt
21:13 général va surgir en quelque sorte comme un effet non voulu, non anticipé.
21:17 Et donc on a une vision qui est beaucoup plus, entre guillemets, conflictuelle du corps
21:21 social et du corps politique avec l'idée que le pouvoir doit arrêter le pouvoir parce
21:24 que chacun poursuit ses ambitions propres.
21:25 Ça, est-ce que c'est quelque chose qui est oublié aujourd'hui, mal compris par
21:29 nos politiques Céline Spector ?
21:30 J'espère qu'on respecte encore l'indépendance du judiciaire dans ce pays parce que c'est
21:34 vrai que c'est quand même le fondement de l'état de droit et que c'est un point
21:36 essentiel.
21:37 Elle fait polémique bien souvent.
21:39 Bien sûr.
21:40 Et de ce point de vue là, pour ma part, je considère que si on ne respecte plus la séparation
21:45 des pouvoirs en ce sens, on risque de devenir une démocratie illibérale.
21:49 Et donc en ce sens, c'est ça qui nous protège véritablement d'une dérive lorsque les
21:54 libertés publiques sont reniées, etc.
21:56 Jean-Les-Marie ?
21:57 On parlait tout à l'heure de la difficulté à définir la République.
22:01 D'abord parce que Nicolas Rousselier le rappelait, sa définition, cette définition
22:05 a évolué au cours de l'histoire.
22:07 Mais ce trouble, cette difficulté à la définir, ils sont bien là encore aujourd'hui.
22:12 Tout le monde parle de République, même dans cette rentrée politique qui a commencé
22:16 à regarder ces derniers jours.
22:17 J'évoquais tout à l'heure, Gérald Darmanin, il parlait de l'ascenseur républicain.
22:21 Lorsque la première ministre lui a répondu, elle a commencé à le faire au nom de la
22:25 République en disant qu'elle était ô combien une enfant de la République, pupille
22:28 de la nation, etc.
22:29 Autre débat, tiens sur l'abaya, vous savez, ce vêtement long porté par certaines élèves
22:34 musulmanes, l'abaya que Gabriel Attal, le ministre de l'Éducation, veut interdire
22:40 en cette rentrée.
22:41 Aussitôt, Éric Ciotti, le patron des Républicains, a réagi en disant "le communautarisme est
22:46 une lèpre qui menace la République".
22:48 Donc ce mot, il est là, il est dans l'air, il est dans l'actualité, plus présent
22:51 encore que ces derniers mois.
22:52 Mais chacun y met ce qu'il veut y mettre.
22:55 L'ordre, l'autorité, la justice sociale.
22:57 Donc ce trouble-là, cette ambiguïté-là, j'ai l'impression qu'elle est encore
23:00 présente.
23:01 Nicolas Rousselier.
23:02 Oui, ce qui manque à l'adjectif républicain actuellement, c'est des anti-républicains.
23:06 C'est qu'il n'y a personne qui se réclame de l'autre camp.
23:08 Je le disais en début d'émission, vous aviez un moras qui, évidemment, construisait
23:15 la substance, je jargonne un peu, mais construisait la substance du mot républicain en s'opposant,
23:19 en disant "je suis dans le camp anti-républicain".
23:21 La République est négueuse.
23:22 Alors effectivement, c'est une position qui n'est pas assumée, Nicolas Rousselier,
23:24 mais il y a en revanche beaucoup de noms d'oiseaux, d'étiquettes qui sont à coller.
23:29 Les gens n'en veulent pas, mais on accuse par exemple le Rassemblement National, reconquête
23:35 le parti d'Éric Zemmour, voire la France Insoumise d'être anti-républicain, même
23:41 si ces partis respectifs n'assument pas, évidemment, cette étiquette.
23:46 Peut-être ne la méritent-ils pas ? Qu'en pensez-vous ?
23:49 Je pense qu'il y a peut-être un minimum, un dénominateur commun, mais faible, c'est
23:54 un signal faible, dans le mot républicain tel qu'il est utilisé actuellement.
23:57 C'est un petit peu l'idée que tous les acteurs politiques doivent accepter un minimum
24:03 de débats, de discussions.
24:05 Et ça rejoint ce que disait Céline Spector aussi sur, disons, la tradition montesquieuse.
24:11 Même si la tradition montesquieuse a eu le dessous dans la tradition française par
24:14 rapport à la tradition Rousseau.
24:16 Mais on peut aussi dire qu'il y a des types de conflits, des types de positions qui ne
24:24 peuvent pas être solubles dans la délibération.
24:27 Tout n'est pas délibératif dans la démocratie.
24:29 Mais ça justement c'est très important parce que si la tradition Rousseau a eu le
24:33 dessus sur la tradition montesquieuse, c'est-à-dire Rousseau qu'on accuse souvent d'être
24:38 à l'origine des mauvais penchants de la politique française, la terreur, une forme
24:43 de romantisme.
24:44 Je vous vois lever les yeux au ciel Céline Spector.
24:48 Expliquez-nous pourquoi on a tort, si vous considérez qu'on a tort, d'attribuer
24:54 à cette forme de romantisme de Rousseau par rapport à l'équilibre, à la rationalité
24:59 de Montesquieu qui lui serait finalement minoritaire en France ?
25:03 Avant de revenir à cette question, je voudrais juste dire un mot pour répondre à la question
25:07 posée sur comment on s'approprie, comment on instrumentalise parfois le concept de république
25:11 en fait à droite et à gauche.
25:13 C'est-à-dire qu'en fait, il y a eu un ouvrage récent qui est paru de Jean-Fabien
25:18 Spieth sur "La République, quelle valeur ?" et il montre bien, je trouve, qu'en
25:21 réalité la République c'était quand même le grand mot d'ordre de la gauche
25:25 avec l'idée qu'en France, la République devait être sociale, imposer la liberté,
25:29 imposer l'égalité, lutter contre les divisions et les discriminations.
25:32 Ici, on a désormais, depuis un certain nombre d'années, une réappropriation conservatrice
25:37 qui met en avant l'autorité, qui met en avant l'ordre, qui met en avant "faire
25:42 des républicains" au sens "on va mettre de l'instruction civique et ça va faire
25:45 des républicains".
25:46 Et ça, il faut s'en méfier aussi parce que...
25:49 Alors, à gauche, on avait l'idée qu'il fallait un ethos civique, qui soit justement
25:53 promouvoir l'amour de l'égalité.
25:54 Ethos civique, expliquez-nous.
25:55 Oui, alors ethos civique, c'est-à-dire qu'en fait, on ne peut pas se contenter
25:57 des institutions.
25:58 Il faut aussi des mœurs, il faut aussi, en fait, que les citoyens nourrissent une
26:03 forme de patriotisme, parfois on dit.
26:06 Mais moi, j'utilise ethos civique parce que c'est un peu plus neutre, c'est-à-dire
26:12 finalement quelque chose qui nous attache, qui nous permet d'adhérer aux institutions.
26:16 Eh bien justement, j'aimerais vous faire entendre quelqu'un, quelqu'un que nous
26:20 aimons beaucoup et que nous avons hélas perdu.
26:24 Daniel Cohen, l'économiste, s'exprimait sur ces sujets.
26:28 La poussée des extrêmes, en France comme ailleurs, elle s'explique par le fait qu'il
26:33 y a un nombre croissant de classes sociales qui ont perdu confiance dans leur possibilité
26:39 même d'existence.
26:40 Un ouvrier aujourd'hui se dit "mais dans 10 ans, dans 20 ans, je n'existerai plus".
26:46 Et ça se traduit par une perte de confiance radicale chez les Français dans l'idée
26:52 que leurs enfants pourraient vivre mieux qu'eux.
26:55 Et cette perte de confiance dans l'avenir, je pense, en grande partie explique pourquoi
27:00 nos sociétés passent de la gauche à la droite.
27:03 La gauche, c'est toujours la promesse d'un progrès, les lumières.
27:07 Et la droite, c'est toujours la nostalgie d'un monde qu'on abandonne.
27:09 Donc il y a un grand basculement de cette nature qui est en train de se produire et
27:13 la France est en plein dedans.
27:14 La voix de Daniel Cohen, votre impression par rapport à cela ? C'est l'inspecteur.
27:20 Disons, j'ai relevé moi aussi une forme d'instrumentalisation des lumières à
27:23 laquelle je suis particulièrement sensible, notamment dans l'interview du président
27:27 Emmanuel Macron.
27:28 C'est-à-dire qu'il y avait cette idée que la France ne doit pas suivre la voie
27:31 du repli ou de la peur, mais la voie humaniste des lumières.
27:36 Mais attention à ce qu'on entend par là, parce que les lumières peuvent être facilement
27:39 instrumentalisées dans le débat public.
27:41 Si ça veut dire par là qu'en effet, on ne va pas céder, disons, face à la tentation
27:49 autoritaire, oui.
27:51 Et vous m'interrogez d'ailleurs tout à l'heure sur la manière dont on peut faire
27:55 dériver ou sauver l'autoritarisme.
27:57 Ce qui s'est passé sous la Révolution, vous savez, c'est le fait que les principes
28:00 de la liberté ont dérivé en un sens et se sont retournés au monde de la terreur,
28:05 avec le comité de salut public et Robespierre.
28:07 Toute cette crainte du retournement dialectique, du désir de liberté en son contraire.
28:12 Et donc ça, c'est quelque chose d'assez problématique.
28:14 Mais je crois que les lumières, ça peut nous permettre de nous donner un autre chemin,
28:18 celui de Montesquieu par exemple, que vous évoquiez tout à l'heure, c'est-à-dire
28:21 des contre-pouvoirs.
28:22 Et il ne faut pas qu'en France aujourd'hui, on perde le fil des contre-pouvoirs, des corps
28:26 intermédiaires.
28:27 Et dans la critique du corporatisme que j'entends parfois, il y a ce risque.
28:30 Et dans ce cas, c'est la société des individus.
28:32 Et parfois, on est un peu sans filet.
28:34 Nicolas Rousselier ?
28:35 Oui, je ne suis pas sûr.
28:37 Il faut faire un peu de conflit entre nous.
28:39 Donc je ne suis pas sûr de ça.
28:41 Je trouve qu'en fait, la Ve République a longtemps fonctionné de manière, sur une
28:46 voie royale, en quelque sorte, où, en plus de la force de la Constitution, il y avait
28:51 la force de la vie politique.
28:52 La vie politique garantissait une majorité, parfois avec une coalition, mais une coalition
28:56 de discipline.
28:57 Et cette majorité permettait au pouvoir exécutif d'avoir une assurance dans l'Assemblée,
29:04 c'est-à-dire l'assurance de faire voter ses projets, ses réformes, à peu près sans
29:08 modification substantielle.
29:10 Et ça donnait en fait un récit national sur la force du pouvoir politique pour, pourquoi
29:16 pas, je remonte aux années 70-80, changer la vie, changer la société.
29:21 La gauche a été à la tête de ce grand récit de la force et la puissance du politique.
29:27 Là, la situation actuelle, c'est que la vie politique, dans sa profondeur, il n'y
29:31 a plus de parti digne de ce nom.
29:34 On ne règle pas, par exemple, l'affaire Darmanin dont Jean Lemarie parlait, ne se
29:38 règle pas dans un congrès.
29:39 Un congrès où on vote à la fin du congrès.
29:42 Et M.
29:43 Macron perd devant M.Mitterrand, j'ajouterais, hélas, peu importe.
29:46 Donc, il n'y a plus les lieux, les passages de construction et de réglementation de la
29:53 vie politique.
29:54 Et ça, c'est une situation tout à fait inédite.
29:56 De ce point de vue-là, on ne peut pas…
30:00 Alors, on peut s'amuser avec l'initiative de M.
30:03 Macron du 30 août.
30:04 Oui, c'est un séminaire d'entreprise, blablabla.
30:06 Mais je trouve qu'on doit créditer, si vous voulez, la nécessité d'innover dans
30:11 cette vie politique.
30:12 Parce qu'après M.
30:13 Macron, on sera peut-être toujours dans la même situation, une situation encore plus
30:16 labile, encore plus liquide au niveau des forces politiques.
30:19 Et donc, il faudra bien aussi que le prochain président trouve des conventions citoyennes,
30:24 des moyens.
30:25 Moi, j'aimerais bien aussi qu'on réfléchisse à une vraie rénovation du Parlement, branchée
30:30 sur les conventions citoyennes au lieu de faire l'un contre l'autre.
30:32 Et oui, c'est l'inspecteur.
30:33 Parce qu'on a discuté avec Nicolas Rousselier dans une première partie.
30:38 Si effectivement, il n'y a pas une vie politique bipolaire, mais tripolaire.
30:43 S'il y a aujourd'hui une organisation de notre vie publique telle que finalement, une
30:50 synthèse n'est plus envisageable, n'est plus possible.
30:54 Comment imaginer les choses ? Est-ce qu'en philosophie politique, on s'est penché là-dessus ?
31:00 Alors, je ne vais pas, disons, commenter directement la situation politique.
31:04 Ce qui me paraît très important, c'est de penser la République au sein de l'Union
31:09 Européenne.
31:10 On ne peut pas vivre dans la mythologie républicaine.
31:12 On ne peut pas s'approprier le mot "république" comme un mantra, comme un totem, et mettre
31:16 une sorte de fiction d'unité sous la République.
31:18 Alors qu'en réalité, la France est un État membre de l'Union Européenne, que
31:23 de très nombreuses politiques sont actuellement décidées au niveau du trilogue entre le
31:28 Parlement Européen, le Conseil et la Commission.
31:32 Et ça, c'est absent.
31:33 C'est absent.
31:34 C'est absolument absent du discours notamment récent.
31:35 Et donc ça, c'est dommage parce qu'on parle beaucoup de la nation dans ce discours.
31:38 On veut donner une vocation nationale à la République alors qu'elle a longtemps eu
31:41 une vocation sociale.
31:42 Et que donc, refaire nation, rebâtir la nation, refonder la nation, c'est totalement en
31:47 décalage avec notre vocation européenne et avec la manière dont les nations doivent
31:51 s'intégrer dans l'Union Européenne.
31:52 Je voudrais juste dire un mot sur la différence entre peuple et nation.
31:55 Ce qui s'est passé de fantastique au moment de la Révolution Française, c'est que
31:59 la nation, chez CIS, a pris le sens du peuple civique, justement.
32:02 Ce n'est pas le peuple ethnique, c'est le peuple civique.
32:05 Ce n'est pas une communauté homogène, mais ce n'est pas une communauté unie par
32:09 une seule culture, même pas forcément une seule langue.
32:12 C'est en réalité un ensemble d'associés, libres et égaux, qui décident en effet à
32:18 travers leurs représentants de faire la loi ensemble, de participer ensemble à un corps
32:21 politique.
32:22 Donc il ne faut pas nous vendre la nation, entre guillemets, sous prétexte de faire
32:26 de la rhétorique politique.
32:27 Un mot de conclusion.
32:28 J'abonde complètement dans le sens, cette fois-ci, de ce que dit Céline Spector.
32:33 Le grand absent, à huit mois des élections européennes, c'est l'Europe.
32:37 Le sens d'un Parlement européen, par exemple.
32:39 Mais c'est un petit peu comme si l'itinéraire de refaire nation, de refaire république,
32:46 devait passer par la case, effectivement, de la nation au sens le plus ancien.
32:50 Et donc même en termes très concrets, de processus de décision, ce n'est pas clair.
32:55 Parce que si on fait un séminaire, ce mercredi, avec les forces politiques françaises, ça
33:01 veut dire qu'il y a des réformes qui sont à l'initiative dans le cadre français.
33:05 Mais on sait très bien qu'une grande partie de ces réformes sont dépendantes de l'Union
33:09 européenne.
33:10 Donc là, il y a un impensé fondamental.
33:13 Céline Spector ?
33:14 Oui, il y a eu quand même un tout petit mot sur la question de l'Europe.
33:18 Est-ce qu'on doit la penser comme géopolitique, économique ou intégrée, plutôt que politique
33:22 d'ailleurs ?
33:23 En effet, c'est le chemin que nous devons suivre à présent.
33:26 C'est-à-dire l'Europe politique, la renforcer.
33:28 Évidemment, une réforme du Parlement européen, lui accorder le monopole de l'initiative
33:33 législative, voter sur des listes transnationales, remettre en place le système des Spitzenkandidaten,
33:38 c'est-à-dire une majorité qui élit la commission.
33:41 C'est-à-dire finalement, oui, les prochaines élections en France, ce seront les élections
33:43 européennes.
33:44 Et c'est à cela que nous devons nous atteler à réfléchir maintenant.
33:47 Mais on a justement parfois l'impression, Céline Spector, que l'Europe, c'est aussi
33:52 dans la vie politique française, le nom d'un parti, d'une position.
33:56 Vous voyez que ça ne fait pas consensus et que c'est également quelque chose qui peut
34:01 diviser.
34:02 Heureusement ! Heureusement que ça ne fait pas consensus, heureusement que ça divise.
34:07 C'est-à-dire que c'est un sujet fondamental et il n'y a pas du tout une seule conception
34:10 politique de l'Europe, pas plus qu'il n'y a une conception de la République.
34:13 C'est-à-dire que, évidemment, les Verts vont se séparer, notamment parce qu'ils
34:17 n'ont pas, au sein de la NUPES, la vision de l'Europe qu'ils souhaitent.
34:21 Au sein du parti socialiste lui-même, on a des tendances très différentes.
34:24 Et évidemment, Emmanuel Macron n'a pas le monopole du discours européen.
34:28 - Merci Sémin Spector, professeur à l'UFR de philosophie de Sorbonne Université, Nodemos,
34:33 le livre que vous avez publié, Au Seuil.
34:35 Merci Nicolas Rousselier, professeur d'histoire politique à Sciences Po.
34:39 On vous doit la force de gouverner aux éditions Gallimard.

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