La prescription, un droit fondamental contesté ?

  • il y a 4 ans
Par Nicolas Bastuck, rédacteur en chef du service Société au « Point ».

Homère rappelait il y a plus de 2000 ans que la prescription interdit à l'homme de conserver une haine éternelle. L'idée, c'est que, passé un certain délai, si personne ne s'est occupé d'une affaire, si aucune victime ne s'est manifestée, si les enquêteurs ou la justice n'ont pas fait acte de diligence, passé un moment, la société n'a plus intérêt à aller chercher des noises à l'auteur présumé d'une infraction et que, d'une certaine manière, rouvrir des plaies très anciennes troublerait presque davantage l'ordre public que de laisser des faits très anciens impunis.

La prescription, une notion juridique au cœur menacée, par Nicolas Bastuck, journaliste au "Point".

La revendication d'un certain nombre d'associations de victimes, de quelques avocats – ils sont quand même rares, mais il y en a – est de rendre les crimes sexuels imprescriptibles, comme l'est aujourd'hui le crime contre l'humanité, qui est le seul crime dans le droit français qui fait l'objet d'une imprescriptibilité. L'argument évoqué est celui d'un trauma qui aurait été si grand qu'il aurait été complètement refoulé et qu'il pourrait ressurgir 40 ou 50 ans après. Mais cette revendication est très contestée, à la fois par les magistrats, par beaucoup d'avocats et par les juristes, parce qu'elle remet fondamentalement en cause le régime de la prescription. Car, après tout, pourquoi rendre imprescriptible un viol et continuer à rendre prescriptible le crime crapuleux qui viserait une personne âgée particulièrement vulnérable ? Mettre le doigt dans cet engrenage reviendrait, à mon avis, très rapidement, à rendre la quasi-totalité des crimes imprescriptible.

Comment fonctionne la prescription en matière de crimes sexuels ?

Un viol sur un majeur a une prescription de 20 ans, une prescription classique. Mais un viol commis sur un mineur, par exemple, a une prescription de 30 ans. C'est le premier point. L'autre exception, c'est que le point de départ de la prescription pour un viol commis sur un mineur n'est pas le moment où les faits ont été commis (comme c'est le cas pour la plupart des infractions) mais le point de départ de la prescription se situe à la majorité de la victime. Ce qui veut dire qu'un petit garçon ou une petite fille qui aurait été violée à l'âge de 8 ans, eh bien, on ferait partir le point de départ de la prescription à ses 18 ans – donc 10 ans se seraient déjà écoulés –, auxquels on ajoute 30 années, un délai dérogatoire. Donc, pour un viol sur mineur, la prescription pour cette petite fille ou ce petit garçon de 8 ans serait de 40 ans en réalité.